đ Occuper de nouveaux espaces de narration
Robots, réseaux sociaux, réalité virtuelle... les nouveaux espaces sur lesquels les récits peuvent fleurir ne manquent pas. On se penche - trop vite ? - sur certains d'entre eux dans ce Virtuel(s) #4.
Virtuel(s) explore, de maniĂšre irrĂ©guliĂšre, les imaginaires et notre relation au numĂ©rique. Ă chaque billet, on explore, on rĂ©flĂ©chit, on imagine et on nâa pas forcĂ©ment de rĂ©ponses. Vous ĂȘtes aujourdâhui une vingtaine Ă cette aventure Ă©crite. Bonne lecture ! đ
Terrains de jeu
Le rideau venait de se lever. Sur la scÚne, aucun acteur. Seulement trois présentoirs sur lesquels trÎnaient des assistants vocaux. Une borne Amazon Alexa, un Apple HomePod et un Google Home.
Le silence se fit dans la salle.
Câest la borne Alexa qui le rompit : âDâoĂč viens-tu ?â
Google Home lui rĂ©pondit : âDe me promener, nourrice. CâĂ©tait beau. Tout Ă©tait gris. Maintenant tu ne peux pas savoir, tout est dĂ©jĂ rose, jaune, vert. Câest devenu une carte postale. Il faut te lever plus tĂŽt, nourrice, si tu veux voir le monde sans couleurs.â
La toute premiĂšre reprĂ©sentation dâAntigone, de Jean Anouilh, donnĂ©e par des assistants vocaux venait de dĂ©buter.
Tant quâil y aura des nouvelles technologies, il y aura de nouvelles façons - parfois grandioses et parfois anecdotiques - de raconter des histoires. Alors quâil a longtemps Ă©tĂ© cantonnĂ© Ă la voix, aux textes Ă©crits et aux images - ce qui nâest dĂ©jĂ pas si mal - lâĂ©mergence des technologies numĂ©riques a permis Ă lâart de la narration dâaborder de nouveaux horizons.
Illustration : en 2002, le livre Game On - The History and Culture of Videogame de Lucien King se penchait sur lâimpact culturel des jeux vidĂ©o, et sur la façon dont ceux-ci changeaient notre façon dâapprĂ©hender loisirs et culture. Au hasard des chapitres qui abordent la place des femmes dans le monde des jeux, les communautĂ©s de crĂ©ation ou encore les nouvelles narrations, on y dĂ©couvre le phĂ©nomĂšne des Machinima : des fictions rĂ©alisĂ©es Ă partir dâun moteur technologique de jeux vidĂ©o.
Part theater, part film, part videogame, Machinima are animated movies made utilizing the client-side, real-time 3D rendering technology of game engines. [âŠ] the technology of the game code is giving shape to a new form of storytelling born from the culture of the first person-shooter. In the digicinematic underworld, gamers - hackers - filmmakers conjure within virtual environments, building sets and moulding characters in an imaginary world defined by a slightly disturbing - still elementary - World-Wide Wrestling Federation-meets-Philip K/ Dick aesthetic.
Et de continuer sur lâimpact Ă venir des Machinima sur la façon de partager des histoires : la narration Ă la premiĂšre personne - en vue subjective, les univers dĂ©jĂ Ă©tablis, et les possibilitĂ©s de distribution des films simplifiĂ©es (le moteur du jeu Ă©tant disponible chez chaque joueur, seul la programmation des camĂ©ras et des personnages est nĂ©cessaire pour profiter dâun film, loin de la transmission image par image des vidĂ©os traditionnelles).
Avec le recul - presque 20 ans aprĂšs la sortie du livre - on rĂ©alise que lâimpact des Machinima est peut-ĂȘtre moindre que celui imaginĂ© dans Game On. Si Steven Spielberg a effectivement utilisĂ© le moteur graphique du jeu Unreal Tournament pour rĂ©aliser Ă moindre coĂ»t quelques scĂšnes de son film Artificial Intelligence en 2001, la technologie des jeux vidĂ©o nâa pas totalement rĂ©volutionnĂ© la production des films. Elle a en revanche influĂ© sur la narration : gageons que des films comme Cloverfield ou mĂȘme The Blair Witch Project nâauraient pas vu le jour si les jeux vidĂ©o nâavaient pas prĂ©parĂ© massivement les spectateurs Ă la vue subjective des First Person Shooters. Et on peut imaginer Ă©galement que le monde des jeux nâest pas totalement Ă©tranger Ă lâaccĂ©lĂ©ration narrative des filmsâŠ
Avec leur facilitĂ© technique de crĂ©ation - un peu de script pour certains moteurs - et de distribution, les Machinima ont toutefois permis lâĂ©mergence dâune toute nouvelle scĂšne narrative, avec ses stars et ses propres codes. Et si les synergies avec le monde du cinĂ©ma et de lâanimation traditionnelle sont restĂ©es rares, les Machinima nâen sont pas moins une formidable Ă©cole de la narration. Et toujours pour citer Game On :
Put a million gamers into a room with an open, extensible game engine, and sooner or later, one of them will come up with the first-person shooter equivalent of Hamlet.
En fait, les technologies numĂ©riques ont eu deux impacts cruciaux sur le monde de la crĂ©ation. Dâabord, elles ont drastiquement rĂ©duit le billet dâentrĂ©e des crĂ©ateurs et autorisent dĂ©sormais nâimporte qui Ă se lancer dans la crĂ©ation dâhistoire. Le livre LâAvenir [des Pixels] est entre nos Mains de Timothy Duquesnes (2015) rĂ©sume bien les rĂ©volutions subies par lâindustrie de la crĂ©ation avec lâĂ©mergence des outils numĂ©riques et du Net : atomisation de la distribution, prise directe avec le public, etc.
Mais les outils numĂ©riques auront surtout permis lâĂ©mergence de nouvelles expĂ©riences narratives. Les Machinima en sont un exemple, mais on pensera Ă©galement aux expĂ©riences interactives - comme Enterre-moi, mon amour, ce jeu qui vous propose de suivre le parcours dâun rĂ©fugiĂ© tentant de rejoindre lâEurope - aux tĂ©moignages qui durent dans le temps - LĂ©on Vivien, le poilu dont lâhistoire sâest racontĂ©e en temps rĂ©el sur Facebook en 2013 - ou aux nouveaux formats dâĂ©criture qui se jouent des contraintes des rĂ©seaux sociaux - Shield Five sur Instagram, ou, forcĂ©ment, les Mikrodystopies ;-). On imaginera demain de nouvelles formes de narration profitant du temps rĂ©el des applications de messagerie ou de lâimmersion des plateformes de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e ou virtuelle.
La force de tous ces nouveaux formats, ce sont leur capacitĂ© dâhybridation. Leur capacitĂ© non pas Ă inventer, en brut, de nouvelles histoires et de nouveaux supports, mais leur capacitĂ© Ă utiliser un patrimoine narratif dĂ©jĂ riche et Ă lâintĂ©grer dans de nouveaux espaces technologiques. Un peu comme lâavait fait la chaĂźne Arte en mettant en scĂšne la Traviata de Guiseppe Verdi sur son compte Instagram.
Alors une piĂšce de thĂ©Ăątre avec des assistants vocaux. Pourquoi pas⊠Mais vous, de quelle crĂ©ation hybride rĂȘvez-vous ?
On complÚte avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ?
Trois petits liens de plus pour alimenter votre vision du monde numĂ©riqueâŠ
đ Sur le Net, les liens âpourrissentâ, ils perdent leur qualitĂ© premiĂšre et deviennent de moins en moins pertinents. Rien de bien nouveau, mais le New York Times sâest penchĂ© rĂ©cemment sur la façon dont les liens partagĂ©s par ses articles continuent dâexister, ou non. Rien de bien nouveau, mais lâoccasion de ressortir un article signĂ© BuzzFeed et datĂ© en 2019 - oui, son lien est toujours valide - qui expliquait les techniques de vente de noms de domaine, en fonction notamment des liens pointant vers ses pages depuis le New York Times, pour une meilleure performance SEO.
đą La communication nous manipule, rien de bien nouveau Ă cela. Depuis les prouesses dâEdward Bernays pour la promotion de la cigarette auprĂšs des femmes, notamment, on sait bien que toute campagne de communication dâun lobby industriel sâapparente plus ou moins Ă de la propagande. Lâindustrie pĂ©troliĂšre est loin dâĂ©chapper Ă lâaccusation, comme le dĂ©montre un article complet de Rolling Stone : la faute au consommateur, rĂ©duction des libertĂ©s, greenwashing⊠toutes les ficelles de la communication et de la manipulation sont rĂ©sumĂ©e lĂ , pour expliquer Ă la fois lâinaction des industriels devant lâurgence climatique et la report de responsabilitĂ©, 40 ans durant, sur le dos du consommateur. Glaçant.
đą LâomniprĂ©sence de la technologie va de paire avec lâomniprĂ©sence du bruit. Data centers, robots-tondeuses, circulation⊠les sources de pollution sonore sont de plus en plus nombreuses autour de nous et la lutte contre cette pollution sera sans doute lâun des prochains sujets de santĂ© publique. Le monde est de plus en plus bruyant.
Un petit point calendrier ?
đ Jusquâau 31 mai, dans le cadre de lâĂ©vĂšnement In-Fine dĂ©diĂ© au numĂ©rique et Ă lâĂ©ducation, on vous propose dâĂ©crire votre vision du futur de lâenseignement en 280 caractĂšres. Un concours de Mikrodystopies ouvert Ă tous : https://www.in-fine.education/content/concours-mikrodystopies
đ Les 14 et 15 juin prochain se tiendra Ă Lyon lâĂ©dition 2021 du Blend Web Mix. On sây retrouve le temps dâune confĂ©rence pour parler, justement, dâHypertexte et de nos usages du Net. Ce sera le 15 juin Ă 14h et ça sâappelle As We May Link : https://www.blendwebmix.com/programme/conferences/as-we-may-link-voyage-au-pays-de-lhypertexte/
đ Le 23 juin prochain, lâassociation Le Mouton NumĂ©rique organise une premiĂšre rencontre autour de lâimaginaire et de ses rĂ©percussions politiques avec comme invitĂ©e Anne Besson (@anne_besson), enseignant-chercheur et auteure du tout rĂ©cent âLes Pouvoirs de lâEnchantementâ aux Ăditions VendĂ©miaire. Plus dâinfo Ă venir sur lâorganisation de cet Ă©vĂšnement !
Et pour finir, un peu de lecture et de musique ?Â
đ Oh. Simple. Lisez (ou relisez) Antigone de Jean Anouilh. Et osez me dire que ce nâest pas, toujours, moderne.
đż Et si on rĂ©Ă©coutait Pierre et le Loup de SergueĂŻ Prokofiev, un compte musical qui est - Ă sa façon - un dĂ©tournement des codes ? En version GĂ©rard Philippe ou en version ValĂ©rie Lemercier ?
đŒ How I Met Your Mother nâest plus disponible sur Netflix depuis janvier, la sĂ©rie est maintenant disponible dans lâinventaire de la plateforme Disney+. Pourquoi on en parle ? Parce quâavec ses sites dĂ©rivĂ©s - le Bro Code, le dĂ©compte des baffes - la sĂ©rie a fait la part belle au transmĂ©dia et aux narrations alternatives !
Un petit mot Ă propos de lâauteur ? Je suis François Houste, consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de trĂšs courtes nouvelles de fiction qui interrogent sur la place des technologies numĂ©riques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et Ă la prochaine fois pour parler dâautres choses !
PS1. Si vous avez aimĂ© cette premiĂšre expĂ©rience, nâhĂ©sitez pas Ă la partager sur les rĂ©seaux sociaux ou avec vos contacts :
PS2. Et si vous ĂȘtes venu via ces mĂȘmes rĂ©seaux sociaux ou via un partage⊠nâhĂ©sitez pas Ă vous abonner pour recevoir le prochain billet :
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Ă la prochaine !