🧨Anti-commun, tu perds ton sang froid
Qu'est-ce qui est public ? Qu'est-ce qui est privé ? Qu'est-ce qui nous éloigne ou nous rassemble ? On explore l'Internet qui divise dans ce second numéro de Virtuel(s).
Virtuel(s) explore, de manière irrégulière, à la fois les imaginaires et notre relation au numérique. A chaque billet, on explore, on réfléchit, on imagine et on n’a pas forcément de réponses. Vous êtes toujours une dizaine à suivre cette aventure écrite. Bonne lecture ! 😉
Anti-commun
Le bug n’avait duré que quinze minutes, et pourtant il avait choqué plus de monde qu’aucune autre nouvelle diffusée ce jour-là. Pendant un quart d’heure, les utilisateurs du premier réseau social mondial avait été projetés dans un univers inconnu. Les bases de données s’étaient emmêlées, les identifiants s’étaient brouillés et chacun avait vu un fil d’actualité qui n’était pas le sien. Chacun avant été confronté à une vérité qui n’était pas la sienne. Les sceptiques s’étaient retrouvés exposés à des articles scientifiques, les intégristes à de la propagande œcuménique, les nationalistes aux nouvelles d’autres pays... Et chacun, suivant son état d’esprit, s’était un court instant ouvert au monde ou révolté.
Le bug imaginé dans ces quelques lignes plus haut illustre l’un des biais de la société numérique dans laquelle nous vivons : l’émergence de bulles ou l’imbrication toujours plus complexe entre la sphère privée et la sphère publique. Le réseau social sur lequel nous naviguons en dégustant notre café est-il un espace privé sur lequel nous sommes à même de choisir les éléments auxquels nous sommes exposé, ou constitue-t-il un espace public dans lequel la libre expression prévaut ?
Olivier Ertzscheid, dans son excellent Le monde selon Zuckerberg qui détaille l’ensemble des préjudices de la société numérique, imaginait une autre scène, dont le contexte est le partage des souvenirs de vacances entre amis :
[…] Nous venions de subir un “nude-ban”, un bannissement pour nudité. Il s’était déclenché à l’affichage de la photo de ma fille aînée, qui était effectivement seins nus sur la plage en sortant de l’eau. J’avais oublié que dans le contrat signé avec ces amis il y a plusieurs années de cela, il était stipulé qu’une poitrine féminine sur laquelle on voyait le téton était considérée comme de la nudité et donc de la pornographie. Je ruminais l’imbécilité de tout cela quand ma femme me rappela que chacun avait bien le droit de définir ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas dans son domicile privé.
Privé et public s’imbriquent, se mélangent, et il n’est plus facile désormais de savoir à quel moment nous nous exposons à un espace commun. Tiens, Commun, c’est justement le mot que je cherchais :
Commun, n. m. : L'ensemble des ressources communes d'une société, d'un groupe.
Internet s’est bâti, en grande partie, sur une idée de Communs, sur l’idée de construire un vaste ensemble de connaissances accessible à chacun et partageable, enrichissable, contribuable par tous. L’esprit de l’hypertexte, c’est ça. La Wikipedia en est sans doute l’exemple le plus parlant : une encyclopédie complète, riche et enrichie régulièrement, accessible à tous.
Est-ce qu’à l’opposée de cette notion de Communs, on peut imaginer des Anti-Communs ? Des contenus qui ne s’adressent qu’à une communauté précise, des contenus qui divisent ? Des systèmes qui limitent l’accès à la connaissance commune ? On va me répondre que cela existe déjà. Les Fake News - quelle que soit la définition académique qu’on leur donne - sont une sorte d’Anti-Commun, un contenu créé spécifiquement pour la manipulation ou pour la séduction d’une audience en particulier. Mais pour autant, si les Fake News confortent nos fictions, elles ne réduisent pas nos possibilités d’accès aux communs.
Les Anti-Communs tiendraient sans doute plus de filtres. Les algorithmes qui s’affolent sur les réseaux sociaux dans la nouvelle qui ouvre cet article pourraient être ces Anti-Communs : des programmes qui tordent la réalité, qui tordent les ressources accessibles pour les faire correspondre à une vision du monde. Les algorithmes des réseaux sociaux favorisent un contenu en masquant mathématiquement un autre et donc contribuent à la baisse de visibilité d’une ressource commune qui est hors de notre sphère “acceptable” de vérité.
En allant plus loin, on peut également imaginer des filtres, des extensions, capables de manipuler une ressource commune pour la faire correspondre à une vision du monde. Il y a quelques mois, au sein de l’agence Plan.Net France, nous avons créé The Digital Switch, une extension Chrome qui permet de remplacer, dans n’importe quelle page Web, le terme “Digital”par “Numérique” et vice-versa. Cela fonctionne avec les articles de presse, les pages de la Wikipedia, les emails ou les billets de blog. Et cela permet à deux utilisateurs aux visions de vocabulaire opposées d’avoir accès à deux versions différentes d’un même contenu. Moindre impact ?
Sans en souhaiter forcément la multiplication, quelle sorte d’Anti-Communs pourrait-on imaginer ? Plus politique ? Plus insidieux ? Comme celle qui faisait disparaître Donald Trump du Web en 2016, ou comme le proposait le Gorafi, celle qui flouterait les violences policières.
Quel Anti-Commun imaginez-vous ?
On complète avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ? 3 liens de plus pour alimenter votre vision du monde…
🎥 La manipulation vidéo - les DeepFakes pour parler buzz - permettent une foule d’usages. Dernier en date, Scott Mann, réalisateur de The Tournament, propose de modifier les films anciens afin que les mouvements de lèvres de acteurs correspondent exactement à leurs doublages. Ainsi, les traductions peuvent être plus respectueuses des textes d’origine et s’affranchir de la contrainte visuelle. C’est révolutionnaire, ça pose forcément des tonnes de questions sur l’intégrité des oeuvres - trahit-on plus un film en le traduisant ou en en manipulant les images ? - et c’est expliqué en détail ici : https://www.inputmag.com/culture/movie-dubbing-flawless-scott-mann-ai-neural-network
👨🦲 Vous vous inquiétez de ce que la reconnaissance faciale sera capable de faire dans le futur (oui, vous avez les images du Minority Report de Steven Spielberg dans la tête) ? Inquiétez-vous plutôt de ce qu’elle est déjà capable de faire ! Les moteurs de reconnaissance existent déjà, nos photos sont déjà partout en ligne, il ne manquait en fait qu’une exploitation commerciale de ceux-ci. Pimeyes remplit cet office et promet, sur abonnement, d’avoir accès à des systèmes de reconnaissance faciale simples et efficaces. La démo en ligne est bluffante, les usages nettement plus inquiétants… et la législation n’est sans doute pas prête à les rattraper ! Plus d’information là : https://edition.cnn.com/2021/05/04/tech/pimeyes-facial-recognition/index.html
⌨ Communiquer en permanence par écrit - par email, par chat, par messenger, par SMS - nous fait-il du mal ? Les codes de la communication écrite, et plus encore les codes de la communication asynchrone, nous obligent à réfléchir beaucoup plus que dans le cadre d’une communication orale, visuelle, et face à face. Et tout cela, c’est non seulement épuisant, mais nuit à notre compréhension mutuelle. C’est l’un des constats de Blandine Rinkel dans un essai récent. C’est ici : https://usbeketrica.com/fr/article/communication-digitales-ambiiguites
Un petit point calendrier ?
📅 Jusqu’au 31 mai, dans le cadre de l’évènement In-Fine dédié au numérique et à l’éducation, on vous propose d’écrire votre vision du futur de l’enseignement en 280 signes. Un concours de Mikrodystopies ouvert à tous : https://www.in-fine.education/content/concours-mikrodystopies
📅 Les 14 et 15 juin prochain se tiendra à Lyon l’édition 2021 du Blend Web Mix. Je vous propose de nous y retrouver le temps d’une conférence pour parler, cette fois, d’Hypertexte et de nos usages du Net. Ce sera le 15 juin à 14h et ça s’appelle As We May Link : https://www.blendwebmix.com/programme/conferences/as-we-may-link-voyage-au-pays-de-lhypertexte/
Et pour finir, un peu de lecture et de musique ? Pour accompagner ce billet, je vous propose :
💿 La musique pour démarrer ? Forcément, on attaque avec l’album Répression de Trust en 1980. Tu perds ton sang froid ?
📖 Et si vous plongiez dans La guerre des livres, un petit roman SF signé Alain Grousset chez Folio Junior et dans lequel une planète est devenue la dernière bibliothèque physique de l’univers.
📼 Vous voulez manipuler le monde ? Simple, refaites-vous la filmographie complète de David Fincher (de The Game à Gone Girl en passant par Fight Club), ou plus classique : mâtez une nouvelle fois The Usual Suspects.
Un petit mot à propos de l’auteur ? Je suis François Houste, consultant au sein de la belle agence digitale Plan.Net France et auteurs des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles de fiction qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et à la prochaine fois pour parler d’autres choses !
PS1. Si vous avez aimé cette première expérience, n’hésitez pas à la partager sur les réseaux sociaux ou avec vos contacts :
PS2. Et si vous êtes venu via ces mêmes réseaux sociaux ou via un partage… n’hésitez pas à vous abonner pour recevoir le prochain billet :
À la prochaine !
Et pour rebondir sur ce billet, 100 % d'accord avec cette notion d'algorithme qui sont des anti communs. L accès au commun est toujours là, mais de plus en plus difficilement visible , nos yeux ne se posant que sur ce que l' on aura défini comme visible pour nous. La navigation "à l ancienne" ou tu pars à la découverte du Web avec un bon navigateur et ton moteur de recherche préféré.. c 'est loin... Aujourd'hui c est en grand partie via ton réseau social que tu pénetres dans ce monde. Il agit en gros filtre en amont. Nous choisissons de moins en moins les elements auxquels nous sommes exposés, sans même parler de notion de privé ou public on alimente en permanence ces fameux algorithmes qui nous régurgitent le monde qui semble nous "correspondre" le mieux, pour eux. On façonne notre petite bulle mais ce ne sont pas réellement nos choix. La notion de choix paraît flou, discutable ... C'est un peu comme si en choisissant un livre de voltaire dans une bibliothèque tu avais automatiquement tous les livres de Rousseau qui disparaissent..sans parler de tout l aspect mercantile qui est la pour nous amener la ou l on veut.. et puis quand on creuse on voit que c'est ton vote qui peut changer demain en ayant vu une vidéo clé tranquille sur ton tel au petit matin avant d aller à l urne ..bref anti communs des années de sévices.. qui nous attendent
Merci pour ce billet ! Pour répondre au souhait d un anti commun, je perds un peu mon sang mon froid en ce moment et je serai très terre à terre mais un truc qui nous fait disparaître tout ce qui est religion car ça devient vraiment fatiguant et aussi un truc qui fait disparaître Darmanin mais la c'est purement physique.. j en peux plus de sa tête...ça sera tout pour aujourd'hui :)