đŽ Calimeta Dream
OĂč cette fois on parle de Californie, de musique, de meurtres, de Conurb, de Bussy-Saint-Georges, de Renault et de Meta. Rien que ça. C'est Virtuel(s), opus #12.
Virtuel(s) explore de maniÚre irréguliÚre les imaginaires et notre relation au numérique.
Ă chaque billet on rĂ©flĂ©chit, on imagine et on nâa pas forcĂ©ment de rĂ©ponses. Vous ĂȘtes aujourdâhui presque une cinquantaine Ă suivre cette aventure Ă©crite. Bonne lecture ! đ
Des [đż], [đ] ou [đ°] ? Cliquez, ils vous emmĂšneront vers des complĂ©ments dâinformation.
Californian Dream is a myth constructed - or recycled - by people who come to LA in search of the Californian Dream.
« Le rĂȘve californien est un mythe construit - ou recyclĂ© - par des types dĂ©barquĂ©s Ă Los Angeles Ă la recherche du rĂȘve californien. ».
Câest pas moi qui le dit. Câest Barney Hoskyns [đ€], dont je dĂ©tourne trĂšs lĂ©gĂšrement les propos, dans Waiting for the Sun, son anthologie de la musique angeleno des premiĂšres heures du Bop Ă lâexplosion du Hip-Hop californien (aux Ă©ditions Allia en version française [đ] pour les plus curieux).
Hoskyns y raconte, comme dans tous ses nombreux livres, les cycles de migration et de crĂ©ation qui ont donnĂ© naissance au mythe musical de la Californie. LâarrivĂ©e des jeunes de la Beat Generation, puis ceux du Summer of Love ou de Laurel Canyon du dĂ©but des seventies et leurs rituelles dĂ©convenues.
Ainsi, le mythe solaire du surfeur blanc - portĂ© Ă son paroxysme par les Beach Boys [đż] et la production Wall-of-Sound de Phil Spector [đż] - disparaĂźtra Ă peu prĂšs en mĂȘme temps que les Ă©meutes du Watts en 1965. Lâutopie hippie - plus prĂ©sente Ă San Francisco quâĂ Los Angeles - portĂ©e par The Byrds [đż] ou Buffalo Springfied [đż] sâeffondrera dans un dĂ©chaĂźnement de violence en 1969, sous les coups de couteau de la famille de Charles Manson et des Hells Angels lors du festival dâAltamont - lisez donc le rĂ©cit de la tournĂ©e amĂ©ricaine des Rolling Stones de 1969 par JoĂ«l Selvin, en français aux Ă©ditions Rivages [đ], câest glaçant. Et les idĂ©aux folks des Crosby, Stills, Nash & Young [đż] ou de Joni Mitchell [đż] ne rĂ©sisterons que difficilement Ă la montĂ©e du music-business et aux overdoses Ă rĂ©pĂ©tition des annĂ©es 70.
Los Angeles, Babylone Moderne, est un roller-coaster de rĂȘves et de cauchemars, de hype et de dive, de musique et de sang.
Ce qui est presque flippant, câest que ce rĂȘve californien dont Barney Hoskyns parlait tout au dĂ©but de cet article nâa pourtant Ă©tĂ© que trĂšs peu terni entre les annĂ©es 40 et lâĂ©mergence dâHollywood et la fin des annĂ©es 90 - fin de lâhistoire racontĂ©e dans Waiting for the Sun - et a continuĂ© Ă attirer des milliers de jeunes convaincus que la vie est bien plus belle sous le soleil du Pacifique. Car oui, les rockers dont Hoskyns dresse le portrait sont canadiens, new-yorkais, originaires de lâAlabama ou de lâIllinois⊠rares sont les californiens pure-souche Ă avoir alimenter rĂ©ellement le rĂȘve californien.
On y reviendra.
Ce nâest peut-ĂȘtre pas totalement un hasard si le sud de la Californie, et Los Angeles en particulier, est devenu lâĂ©picentre de notre imaginaire techno-centrĂ©. Et pour plein de raisons.
Dâabord, parce que les liens entre notre quotidien connectĂ© et la communautĂ© hippie de San Francisco et Los Angeles de la fin des annĂ©es 1960 sont nombreux. On relira, encore et toujours, la vie de Stewart Brand entre trips sous acide et investissements technologiques des annĂ©es 1960 Ă nos jours dans le toujours indispensable Aux sources de lâutopie numĂ©rique (par Fred Truner, en français chez C&F Ăditions [đ], comme il se doit). On se penchera Ă©galement sur les liens entre le groupe californien des Grateful Dead et lâĂ©mergence des rĂ©seaux dâĂ©change dans les annĂ©es 80⊠et leur utilisation Ă outrance par les fans du groupe pour Ă©changer anecdotes et bootlegs [đ°]. Les liens entre culture hippie et digitale ne sont pas que gĂ©ographiques. Je radote, mais câest toujours important de se le rappeler.
Ensuite, parce que deux des plus grands créateurs de nos imaginaires numériques sont⊠oui, trÚs liés à la Californie.
Philip K. Dick, auteur sans doute le plus structurant pour nos fantasmes technophiles actuels, et auteur - vous le savez - du Do androids dream of electric sheep? [đ] qui donnera naissance Ă Blade Runner [đ„], Minority Report ou Total Recall [đ], est un pur produit de la culture californienne des sixties : soleil, rockân roll et drogues inclus. William Gibson, inventeur du genre Cyberpunk avec lâiconique Neuromancien [đ], de la mĂȘme façon, sâimmergea fortement dans la contre-culture californienne de la fin des annĂ©es 60 avant de sâenfuir au Canada pour Ă©viter lâincorporation et lâenvoi au Viet Nam oĂč la guerre fait rage. Si vous ĂȘtes dâailleurs curieux, tout ce que le Cyberpunk doit Ă la culture hippie et au LSD est trĂšs bien expliquĂ© dans le hors-sĂ©rie dĂ©diĂ© des Ă©ditions Pixân Love paru en 2020 [đ].
Les romans dystopiques majeurs des deux auteurs prennent place dans un Los Angeles futuriste et malsain (et dans lequel nous mangeons tous des ramens [đ°]). Les cultures hippie, business et technocrate sây mĂȘlent. Hollywood - toujours la Grande Babylone - sâemparera tout naturellement de ces univers pour leur donner vie dans le Blade Runner de Ridley Scott en 1982. Los Angeles y est dĂ©peint comme une ville noire, tentaculaire, livrĂ©e au crime et aux trafics et dans laquelle la culture asiatique et pacifique sâest mĂȘlĂ©e aux canons amĂ©ricains. Les Ă©crans publicitaires Atari y partagent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les fantasmes technologiques de la Tyrell Corporation, la fabrique hĂ©gĂ©monique des androĂŻdes. Dans Neuromancien, Los Angeles est devenu la Conurb, la plus grande mĂ©galopole du monde recouvrant la Californie et le nord du Mexique, et Ă©touffe les personnages en proie Ă la misĂšre et Ă la prĂ©caritĂ© face aux multinationales tyranniques. Neal Stephenson, quelques annĂ©es plus tard, dans LâĂge de diamant [đ] ou dans Le SamouraĂŻ virtuel [đ], Ă©tendra cette ville-univers jusquâaux rivages opposĂ©s du Pacifique.
Pas Ă©tonnant quâaujourdâhui encore, nos rĂȘves de modernitĂ© soient des voitures volantes [đ°], des Smart Cities ou encore des robots humanoĂŻdes. PrĂšs de quarante ans dâimages du futur nous ont prĂ©-configurĂ©s pour cela : des milieux urbains Ă©touffants et des villes tentaculaires.
En rĂ©action Ă lâhĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine, on pourrait se demander Ă quoi ressemblerait un cyberpunk-Ă -lâeuropĂ©enne. Quel vĂ©hicule deviendrait le totem du futur de Bussy-Saint-Georges en Seine-et-Marne ? Quelle dystopie Ă Cergy-Pontoise ? Quel paysage projectif Ă Villeneuve dâAscq ? Nos imaginaires sont secs sur ces futurs gĂ©ographiquement proches, peut-ĂȘtre parce que les imaginaires ont besoin de distance, ou quâHollywood est une machine Ă rĂȘves trop puissante pour laisser de la place Ă dâautres alternatives.
Sylvain Grisot [đ€] de lâagence dâurbanisme Dixit [đ»] pourrait peut-ĂȘtre imaginer ces paysages.
Mais revenons en Californie. Depuis 2019, la pauvretĂ© a explosĂ© dans le Golden State et le paysage cyberpunk actuel comporte bien plus de tentes Quechua que dâĂ©crans LCD gĂ©ants (mĂȘme si le gens fantasment toujours sur les Ă©crans LCD gĂ©ants [đ°]). Ă tel point que, pour la premiĂšre fois peut-ĂȘtre de son histoire, on parle dâun exode californien : il y a aujourdâhui plus dâhabitants qui quittent lâĂ©tat que de nouveaux venus en Californie [đ°].
Et pourtant, le mythe californien fonctionne encore Ă plein tube dans nos imaginaires europĂ©ens, comme en tĂ©moigne la façon dont Renault utilise soleil et palmiers dans ses derniĂšres publicitĂ©s [đș]. AprĂšs tout, le propre des mythes est quâils survivent Ă la rĂ©alitĂ© qui les a fait naĂźtre.
Alors quoi ?
Si la Californie, dĂ©criĂ©e par les dystopistes, boudĂ©e par les jeunes, nâinspire plus, quâon me permette de hasarder une hypothĂšse :
Le Metaverse dont Mark Zuckerberg et quelques autres technophiles californiens - justement - ne cessent de rĂȘver nâest-il pas la derniĂšre Ă©manation du rĂȘve Californien ?
AprĂšs tout, si on met dans un grand sac tous les imaginaires des mondes virtuels, les discours ambiant sur la libertĂ© portĂ©s par le Web3 et la promesse dâune fortune rapide grĂące aux NFT, on retrouve le mĂȘme trio magique Sun-Freedom-Fortune qui a fait la notoriĂ©tĂ© de Los Angeles depuis les annĂ©es 30. Une version Ă peine pixelisĂ©e de la promesse hippie-yuppie du sud de la Californie. Un monde identique Ă celui promis par les studios de cinĂ©ma des annĂ©es 40 ou les maisons de disque des annĂ©es 70 : un monde qui promet le meilleur aux WASP, aux middle-class blanches de lâAmĂ©rique.
Un monde qui ne parle finalement quâaux amĂ©ricains et Ă ceux que le mythe californien de la start-up nation fait encore rĂȘver.
Oui.
Câest sĂ»rement ça : la prochaine mue de la Californie sera virtuelle.
On complÚte avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ?
Trois petits liens de plus pour alimenter votre vision du monde numĂ©riqueâŠ
đą Et si la Bolivie avait inventĂ© lâarchitecture du futur ? La Neo Andean Architecture fait la part belle aux couleurs et Ă lâhĂ©ritage culturel des populations indiennes dâAmĂ©rique du Sud. Et ça fait quand mĂȘme bien plus envie que le Los Angeles de Ridley Scott non ? Ă dĂ©couvrir ici : https://www.nationalgeographic.com/travel/article/el-alto-freddy-mamani-architecture
đČ On Ă©coute toujours avec attention ce que pense Brian Eno du monde lâart, tant lâartiste a influencĂ© notre monde actuel. Et quand il parle de NFT, on en rigole, un peu jaune : âHow sweet â now artists can become little capitalist assholes as well.â. Lâinterview complĂšte est lĂ : https://the-crypto-syllabus.com/brian-eno-on-nfts-and-automatism/
đ€ Bien sĂ»r, vous connaissez les Mikrodystopies [đ] đ ? Alors je ne rĂ©siste pas Ă partager avec vous celles imaginĂ©es par les Ă©lĂšves de seconde de Nicolas Bannier et partagĂ©es le mois dernier sur Twitter.
Et pour finir, un peu de lecture et de musique ?Â
đż La majoritĂ© de la rĂ©daction de ce billet sâest fait au son du Laurel Canyon de Los Angeles, et plus particuliĂšrement de lâalbum DĂ©jĂ Vu de Crosby, Stills, Nash & Young sorti en mars 1970.
đ Difficile de complĂ©ter ce billet avec des lectures, tant elles sont dĂ©jĂ nombreuses Ă ĂȘtre citĂ©es au fur et Ă mesure des paragraphes. Pour toutefois continuer Ă dĂ©penser vos Ă©trennes, on peut suggĂ©rer lâensemble de la bibliographie de Barney Hoskyns, dont sa chronique des annĂ©es psychĂ©dĂ©liques de San Francisco en français aux Ă©ditions Castor Astral.
Pour les plus aventureux, on tentera le petit recueil RockâNâRoll Altitude, recueil de nouvelles de SF autour dâElvis ou Janis Joplin, paru en 2000 chez DenoĂ«l/PrĂ©sence du Futur.
Enfin, on plongera avec dĂ©li.r.c.e dans le Substance Mort de Philip K. Dick dont la schizophrĂ©nie latente nâest pas sans rappeler nos errances et dĂ©doublements dâidentitĂ© dans le cyberespace.đ„ Enfin, un dernier petit tour dans lâunivers Cyberpunk. La sĂ©rie-anime Blade Runner: Black Lotus, rĂ©alisĂ©e par Shinji Aramaki et Kenji Kamiyama, et disponible sur le site de streaming Crunchy Roll revisite Ă merveille le thĂšme du rĂ©plicant et repose la question de sa place dans notre sociĂ©tĂ©.
(Et dĂ©pĂȘchez-vous de mater Donât Look Up sur Netflix, câest sans doute la satire la plus juste de notre Ă©poque actuelle quâon a pu voir rĂ©cemment.)
Un petit mot Ă propos de lâauteur ? François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de trĂšs courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numĂ©riques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et Ă la prochaine fois pour parler dâautres choses !
PS1. Si vous avez aimĂ© cette premiĂšre expĂ©rience, nâhĂ©sitez pas Ă la partager sur les rĂ©seaux sociaux ou avec vos contacts :
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Ă la prochaine !
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