Virtuel(s)

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🌮 Calimeta Dream
virtuels.substack.com

🌮 Calimeta Dream

OĂč cette fois on parle de Californie, de musique, de meurtres, de Conurb, de Bussy-Saint-Georges, de Renault et de Meta. Rien que ça. C'est Virtuel(s), opus #12.

François Houste
Dec 27, 2021
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Virtuel(s) explore de maniÚre irréguliÚre les imaginaires et notre relation au numérique.
À chaque billet on rĂ©flĂ©chit, on imagine et on n’a pas forcĂ©ment de rĂ©ponses. Vous ĂȘtes aujourd’hui presque une cinquantaine Ă  suivre cette aventure Ă©crite. Bonne lecture ! 
😉

Des [💿], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmĂšneront vers des complĂ©ments d’information.

Laurel Canyon, Los Angeles
Laurel Canyon, Los Angeles.

Californian Dream is a myth constructed - or recycled - by people who come to LA in search of the Californian Dream.

« Le rĂȘve californien est un mythe construit - ou recyclĂ© - par des types dĂ©barquĂ©s Ă  Los Angeles Ă  la recherche du rĂȘve californien. ».

C’est pas moi qui le dit. C’est Barney Hoskyns [đŸ€], dont je dĂ©tourne trĂšs lĂ©gĂšrement les propos, dans Waiting for the Sun, son anthologie de la musique angeleno des premiĂšres heures du Bop Ă  l’explosion du Hip-Hop californien (aux Ă©ditions Allia en version française [📙] pour les plus curieux).

Hoskyns y raconte, comme dans tous ses nombreux livres, les cycles de migration et de crĂ©ation qui ont donnĂ© naissance au mythe musical de la Californie. L’arrivĂ©e des jeunes de la Beat Generation, puis ceux du Summer of Love ou de Laurel Canyon du dĂ©but des seventies et leurs rituelles dĂ©convenues.

Ainsi, le mythe solaire du surfeur blanc - portĂ© Ă  son paroxysme par les Beach Boys [💿] et la production Wall-of-Sound de Phil Spector [💿] - disparaĂźtra Ă  peu prĂšs en mĂȘme temps que les Ă©meutes du Watts en 1965. L’utopie hippie - plus prĂ©sente Ă  San Francisco qu’à Los Angeles - portĂ©e par The Byrds [💿] ou Buffalo Springfied [💿] s’effondrera dans un dĂ©chaĂźnement de violence en 1969, sous les coups de couteau de la famille de Charles Manson et des Hells Angels lors du festival d’Altamont - lisez donc le rĂ©cit de la tournĂ©e amĂ©ricaine des Rolling Stones de 1969 par JoĂ«l Selvin, en français aux Ă©ditions Rivages [📘], c’est glaçant. Et les idĂ©aux folks des Crosby, Stills, Nash & Young [💿] ou de Joni Mitchell [💿] ne rĂ©sisterons que difficilement Ă  la montĂ©e du music-business et aux overdoses Ă  rĂ©pĂ©tition des annĂ©es 70.

Los Angeles, Babylone Moderne, est un roller-coaster de rĂȘves et de cauchemars, de hype et de dive, de musique et de sang.

Ce qui est presque flippant, c’est que ce rĂȘve californien dont Barney Hoskyns parlait tout au dĂ©but de cet article n’a pourtant Ă©tĂ© que trĂšs peu terni entre les annĂ©es 40 et l’émergence d’Hollywood et la fin des annĂ©es 90 - fin de l’histoire racontĂ©e dans Waiting for the Sun - et a continuĂ© Ă  attirer des milliers de jeunes convaincus que la vie est bien plus belle sous le soleil du Pacifique. Car oui, les rockers dont Hoskyns dresse le portrait sont canadiens, new-yorkais, originaires de l’Alabama ou de l’Illinois
 rares sont les californiens pure-souche Ă  avoir alimenter rĂ©ellement le rĂȘve californien.

On y reviendra.

Blade Runner' Making-Of Documentary on the Tech-noir Classic | IndieWire
Blade Runner. Ridley Scott. 1982.

Ce n’est peut-ĂȘtre pas totalement un hasard si le sud de la Californie, et Los Angeles en particulier, est devenu l’épicentre de notre imaginaire techno-centrĂ©. Et pour plein de raisons.

D’abord, parce que les liens entre notre quotidien connectĂ© et la communautĂ© hippie de San Francisco et Los Angeles de la fin des annĂ©es 1960 sont nombreux. On relira, encore et toujours, la vie de Stewart Brand entre trips sous acide et investissements technologiques des annĂ©es 1960 Ă  nos jours dans le toujours indispensable Aux sources de l’utopie numĂ©rique (par Fred Truner, en français chez C&F Éditions [📕], comme il se doit). On se penchera Ă©galement sur les liens entre le groupe californien des Grateful Dead et l’émergence des rĂ©seaux d’échange dans les annĂ©es 80
 et leur utilisation Ă  outrance par les fans du groupe pour Ă©changer anecdotes et bootlegs [📰]. Les liens entre culture hippie et digitale ne sont pas que gĂ©ographiques. Je radote, mais c’est toujours important de se le rappeler.

Ensuite, parce que deux des plus grands créateurs de nos imaginaires numériques sont
 oui, trÚs liés à la Californie.

Philip K. Dick, auteur sans doute le plus structurant pour nos fantasmes technophiles actuels, et auteur - vous le savez - du Do androids dream of electric sheep? [📘] qui donnera naissance Ă  Blade Runner [đŸŽ„], Minority Report ou Total Recall [📗], est un pur produit de la culture californienne des sixties : soleil, rock’n roll et drogues inclus. William Gibson, inventeur du genre Cyberpunk avec l’iconique Neuromancien [📕], de la mĂȘme façon, s’immergea fortement dans la contre-culture californienne de la fin des annĂ©es 60 avant de s’enfuir au Canada pour Ă©viter l’incorporation et l’envoi au Viet Nam oĂč la guerre fait rage. Si vous ĂȘtes d’ailleurs curieux, tout ce que le Cyberpunk doit Ă  la culture hippie et au LSD est trĂšs bien expliquĂ© dans le hors-sĂ©rie dĂ©diĂ© des Ă©ditions Pix’n Love paru en 2020 [📘].

Les romans dystopiques majeurs des deux auteurs prennent place dans un Los Angeles futuriste et malsain (et dans lequel nous mangeons tous des ramens [📰]). Les cultures hippie, business et technocrate s’y mĂȘlent. Hollywood - toujours la Grande Babylone - s’emparera tout naturellement de ces univers pour leur donner vie dans le Blade Runner de Ridley Scott en 1982. Los Angeles y est dĂ©peint comme une ville noire, tentaculaire, livrĂ©e au crime et aux trafics et dans laquelle la culture asiatique et pacifique s’est mĂȘlĂ©e aux canons amĂ©ricains. Les Ă©crans publicitaires Atari y partagent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les fantasmes technologiques de la Tyrell Corporation, la fabrique hĂ©gĂ©monique des androĂŻdes. Dans Neuromancien, Los Angeles est devenu la Conurb, la plus grande mĂ©galopole du monde recouvrant la Californie et le nord du Mexique, et Ă©touffe les personnages en proie Ă  la misĂšre et Ă  la prĂ©caritĂ© face aux multinationales tyranniques. Neal Stephenson, quelques annĂ©es plus tard, dans L’Âge de diamant [📗] ou dans Le SamouraĂŻ virtuel [📘], Ă©tendra cette ville-univers jusqu’aux rivages opposĂ©s du Pacifique.

Le Clos Guibert, programme neuf Ă  Bussy-Saint-Georges | Peterson.fr
Bussy-Saint-Georges (77), vue d’architecte.

Pas Ă©tonnant qu’aujourd’hui encore, nos rĂȘves de modernitĂ© soient des voitures volantes [📰], des Smart Cities ou encore des robots humanoĂŻdes. PrĂšs de quarante ans d’images du futur nous ont prĂ©-configurĂ©s pour cela : des milieux urbains Ă©touffants et des villes tentaculaires.

En rĂ©action Ă  l’hĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine, on pourrait se demander Ă  quoi ressemblerait un cyberpunk-Ă -l’europĂ©enne. Quel vĂ©hicule deviendrait le totem du futur de Bussy-Saint-Georges en Seine-et-Marne ? Quelle dystopie Ă  Cergy-Pontoise ? Quel paysage projectif Ă  Villeneuve d’Ascq ? Nos imaginaires sont secs sur ces futurs gĂ©ographiquement proches, peut-ĂȘtre parce que les imaginaires ont besoin de distance, ou qu’Hollywood est une machine Ă  rĂȘves trop puissante pour laisser de la place Ă  d’autres alternatives.

Sylvain Grisot [đŸ€] de l’agence d’urbanisme Dixit [đŸ’»] pourrait peut-ĂȘtre imaginer ces paysages.

Take Two | Homegrown Homelessness, Idling Ban, Undecided Voters | 89.3 KPCC
Los Angeles, 2020.

Mais revenons en Californie. Depuis 2019, la pauvretĂ© a explosĂ© dans le Golden State et le paysage cyberpunk actuel comporte bien plus de tentes Quechua que d’écrans LCD gĂ©ants (mĂȘme si le gens fantasment toujours sur les Ă©crans LCD gĂ©ants [📰]). À tel point que, pour la premiĂšre fois peut-ĂȘtre de son histoire, on parle d’un exode californien : il y a aujourd’hui plus d’habitants qui quittent l’état que de nouveaux venus en Californie [📰].

Et pourtant, le mythe californien fonctionne encore Ă  plein tube dans nos imaginaires europĂ©ens, comme en tĂ©moigne la façon dont Renault utilise soleil et palmiers dans ses derniĂšres publicitĂ©s [đŸ“ș]. AprĂšs tout, le propre des mythes est qu’ils survivent Ă  la rĂ©alitĂ© qui les a fait naĂźtre.

Alors quoi ?

Si la Californie, dĂ©criĂ©e par les dystopistes, boudĂ©e par les jeunes, n’inspire plus, qu’on me permette de hasarder une hypothĂšse :

Meta » : Voici à quoi ressemble le projet de « metaverse » de Mark  Zuckerberg
Metaverse, early days.

Le Metaverse dont Mark Zuckerberg et quelques autres technophiles californiens - justement - ne cessent de rĂȘver n’est-il pas la derniĂšre Ă©manation du rĂȘve Californien ?

AprĂšs tout, si on met dans un grand sac tous les imaginaires des mondes virtuels, les discours ambiant sur la libertĂ© portĂ©s par le Web3 et la promesse d’une fortune rapide grĂące aux NFT, on retrouve le mĂȘme trio magique Sun-Freedom-Fortune qui a fait la notoriĂ©tĂ© de Los Angeles depuis les annĂ©es 30. Une version Ă  peine pixelisĂ©e de la promesse hippie-yuppie du sud de la Californie. Un monde identique Ă  celui promis par les studios de cinĂ©ma des annĂ©es 40 ou les maisons de disque des annĂ©es 70 : un monde qui promet le meilleur aux WASP, aux middle-class blanches de l’AmĂ©rique.

Un monde qui ne parle finalement qu’aux amĂ©ricains et Ă  ceux que le mythe californien de la start-up nation fait encore rĂȘver.

Oui.

C’est sĂ»rement ça : la prochaine mue de la Californie sera virtuelle.


On complÚte avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ?
Trois petits liens de plus pour alimenter votre vision du monde numérique


  • 🏱 Et si la Bolivie avait inventĂ© l’architecture du futur ? La Neo Andean Architecture fait la part belle aux couleurs et Ă  l’hĂ©ritage culturel des populations indiennes d’AmĂ©rique du Sud. Et ça fait quand mĂȘme bien plus envie que le Los Angeles de Ridley Scott non ? À dĂ©couvrir ici : https://www.nationalgeographic.com/travel/article/el-alto-freddy-mamani-architecture

  • đŸ’Č On Ă©coute toujours avec attention ce que pense Brian Eno du monde l’art, tant l’artiste a influencĂ© notre monde actuel. Et quand il parle de NFT, on en rigole, un peu jaune : ”How sweet – now artists can become little capitalist assholes as well.”. L’interview complĂšte est lĂ  : https://the-crypto-syllabus.com/brian-eno-on-nfts-and-automatism/

  • đŸ€– Bien sĂ»r, vous connaissez les Mikrodystopies [📗] 😉 ? Alors je ne rĂ©siste pas Ă  partager avec vous celles imaginĂ©es par les Ă©lĂšves de seconde de Nicolas Bannier et partagĂ©es le mois dernier sur Twitter.


Et pour finir, un peu de lecture et de musique ? 

  • 💿 La majoritĂ© de la rĂ©daction de ce billet s’est fait au son du Laurel Canyon de Los Angeles, et plus particuliĂšrement de l’album DĂ©jĂ  Vu de Crosby, Stills, Nash & Young sorti en mars 1970.

  • 📚 Difficile de complĂ©ter ce billet avec des lectures, tant elles sont dĂ©jĂ  nombreuses Ă  ĂȘtre citĂ©es au fur et Ă  mesure des paragraphes. Pour toutefois continuer Ă  dĂ©penser vos Ă©trennes, on peut suggĂ©rer l’ensemble de la bibliographie de Barney Hoskyns, dont sa chronique des annĂ©es psychĂ©dĂ©liques de San Francisco en français aux Ă©ditions Castor Astral.

    Pour les plus aventureux, on tentera le petit recueil Rock’N’Roll Altitude, recueil de nouvelles de SF autour d’Elvis ou Janis Joplin, paru en 2000 chez DenoĂ«l/PrĂ©sence du Futur.
    Enfin, on plongera avec dĂ©li.r.c.e dans le Substance Mort de Philip K. Dick dont la schizophrĂ©nie latente n’est pas sans rappeler nos errances et dĂ©doublements d’identitĂ© dans le cyberespace.

  • đŸŽ„ Enfin, un dernier petit tour dans l’univers Cyberpunk. La sĂ©rie-anime Blade Runner: Black Lotus, rĂ©alisĂ©e par Shinji Aramaki et Kenji Kamiyama, et disponible sur le site de streaming Crunchy Roll revisite Ă  merveille le thĂšme du rĂ©plicant et repose la question de sa place dans notre sociĂ©tĂ©.
    (Et dĂ©pĂȘchez-vous de mater Don’t Look Up sur Netflix, c’est sans doute la satire la plus juste de notre Ă©poque actuelle qu’on a pu voir rĂ©cemment.)


Un petit mot Ă  propos de l’auteur ? François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de trĂšs courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numĂ©riques dans notre quotidien.


Merci de votre attention et à la prochaine fois pour parler d’autres choses !

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