🎩Illusion | Cybernetruc #04
« Toute technologie suffisamment évoluée est indiscernable de la magie, » disait Arthur C. Clarke. Alors on se pose la question de l'intelligence Artificielle, de la magie et de notre éducation tech.
CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous voilà aujourd’hui un peu moins d’une centaine à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 😉
Des [💿], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.
♟ Échecs
Il y a tout d’abord ce joueur d’échec. Le Turc Mécanique [📄]. Un appareil conçu en 1770 par Johann Wolfgang von Kempelen, exposé dans un premier temps au château de Schönbrunn en Autriche, et capable d’affronter n’importe quel joueur humain au jeu d’échec.
Pendant plus d’un demi-siècle, la machine rendra perplexes les plus fins analystes qui observeront ses rouages et tenteront d’en comprendre le fonctionnement. Mais comment un simple mécanisme peut affronter, et surpasser, le cerveau humain sur un terrain aussi complexe qu’un échiquier ?
Le Turc Mécanique n’est peut-être pas le premier hoax mécanique de l’histoire, mais il est sans doute resté le plus célèbre. Dans ses entrailles, ce ne sont pas des engrenages qui réfléchissent, mais bel et bien un être humain, caché. Un véritable joueur d’échec [📗] qui actionne et déplace les pièces en fonction des coups de l’adversaire. L’illusion perdurera longtemps et le joueur mécanique parcourra le monde jusqu’à sa destruction dans un incendie à Philadelphie, en 1854.
📸 Photo
Il y a ensuite ce medium, Colin Evans, à qui les esprits ont donné le don de lévitation [📄]. Dans le Londres des années 1930, il réunit les plus grands fans de spiritisme autour de lui, éteint les lumières et livre à ses admirateurs une photo de lui suspendu dans l’air, comme en apesanteur. Colin Evans lévite, même si son don ne fonctionne que dans l’obscurité totale.
Ici, l’illusion durera moins longtemps. À peine quelques mois. Quand l’obscurité se fait dans la salle, Colin Evans monte sur une chaise et se contente de sauter en l’air. Un déclencheur, relié à un appareil photo, lui permet de commander une prise de photo au moment opportun. Les clichés partagés à l’issue des réunions le montrent bien suspendu dans les airs… quelques fractions de seconde avant d’atterrir au sol sur ses deux pieds.
Bientôt, les adeptes du spiritisme seront remboursés.
🚗Voiture
Aujourd’hui, les fans d’illusion se chamaillent autour du Pzoom, la voiture invisible qui semblent conduire certains adeptes de TikTok [🎥]. Assis par terre, après quelques mouvements mimant la mise de contact et la saisie d’un volant imaginaire, ils glissent sur leurs fesses comme s’ils partaient effectivement au volant d’une voiture invisible.
L’illusion est là-aussi, avec notre lecture actuelle des média, parfaite. Les analyses semblent expliquer que la vidéo est montée à l’envers [📰], mais les experts se chamaillent.
Mais qu’il s’agisse de conduire une voiture invisible, de léviter ou de jouer au échecs, la règle de base de la magie et de l’illusionnisme reste immuable : détourner l’attention et ne montrer que ce que le spectateur veut bien voir (ou ne pas faire attention quand cela fait mal [🎥]).
Ce sont tantôt les rouages qui cachent la véritable nature du spectacle, tantôt le spectacle qui cache la véritable nature des rouages.
⚙ Technologie
Ces quelques tours passés en revue permette de se poser une question : La technologie est-elle une sorte de magie ? Le grand écrivain américain de science-fiction Arthur C. Clarke semblait le penser puisqu’il en a fait une de ses lois : Any sufficiently advanced technology is indistinguishable from magic [📄].
Et aujourd’hui, à l’heure de l’intelligence artificielle et des prêtres du numérique, on serait parfois tenté de le croire. Après tout, les programmes qui tel DALL·E fournissent en quelques secondes une illustration en réponse à une phrase ressemblent à s’y méprendre à de la magie [💻]. À condition bien entendu qu’on ne s’intéresse pas trop aux rouages qui se cachent derrière eux.
Ainsi, derrière un DALL·E, qu’il y a-t-il ? Il y a une gigantesque bibliothèque de ressources tout d’abord : des millions de photos et de dessins qui ont été créé par des artistes, des dessinateurs, des peintres, des photographes,… des humains. Il y a également des millions d’heures de travail numérique qui ont permis à l’intelligence arti·ste·ficielle de comprendre ce qu’était un lapin, un magicien, une voiture ou un château… à grand coup d’étiquetage et de légendage de photo. Je l’ai fait, vous l’avez fait, nous l’avons tous fait, à chaque fois que Google, Facebook ou une quelconque autre plateforme vous demander de commenter une photo. Et de par le monde, des milliers de travailleurs du clic – des Electronical Turks [📄] – rémunérés pour éduquer des intelligences artificielles.
Un formidable travail d’ingénierie.
Pas un tour de magie.
Et dans chaque secteur où l’intelligence artificielle nous montre ses merveilles, il y a bien souvent derrière les rouages une armée d’humain éduquant les algorithmes et rendant la magie possible. Les programmes s’en passeront-ils un jour ? Certains, comme le patron de General Motors, qui teste depuis plusieurs années des programmes de véhicules autonomes, ne semblent pas le croire [📰].
👨🎓 Éducation
Quelle réponse face à cette magie des algorithmes ?
Revenons à Colin Evans et à sa lévitation. Le pot-aux-roses de son arnaque a été – rapidement – révélé par quelques photographes remarquant l’aspect flou du cliché à l’emplacement des pieds du medium. Un flou qui indiquait un mouvement, et donc semblait être la preuve du saut effectué. Une sorte de lecture critique des medias, qui n’était pas dans les capacité de tout-un chacun dans les années 30.
Les intelligences artificielles demandent aujourd’hui la même lecture critique.
Et d’abord, le décryptage d’experts capables de détricoter l’algorithme de l’intervention humaine, de peser le véritable impact de la technologie dans le tour de magie exposé. Eux sont aujourd’hui capables de mettre au jour les biais, les dépendances, les travers des innovations que d’aucuns nous présentent comme révolutionnaires chaque jour.
Ensuite, une éducation à la technologie. Une fois que le truc est révélé, que le miroir est montré, la magie n’opère plus. Une fois les biais d’un algorithme démontrés , les sources d’une intelligence artificielle dévoilés, tout devient bien plus mécanique, moins magique. Et l’intelligence artificielle se révèle parfois n’être qu’un tour de passe-passe, ou une automatisation bien pensée d’un process vieux comme… l’informatique.
Comme il a fallu apprendre à lire une photo, il faut aujourd’hui décrypter une technologie.
Nombre des trucs de l’intelligence artificielle ne sont aujourd’hui que des effets d’échelle, des déploiement de grande ampleur d’idées vieilles comme la mécanisation.
Les capacités technologiques ont rendu possibles bien des prouesses.
Mais pas la magie.
Je vous laisse gamberger là-dessus.
Un petit mot à propos de l’auteur ?
François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.
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À la prochaine !