đż La BeautĂ© du Bac Ă Disques
Explorer la boutique d'un disquaire, s'est s'exposer à trois niveaux d'inconnu. De quoi se perdre, ou découvrir. On pousse les portes de l'inconnu dans ce Virtuel(s), op. #6.
Virtuel(s) explore, de maniĂšre irrĂ©guliĂšre, les imaginaires et notre relation au numĂ©rique. Ă chaque billet, on rĂ©flĂ©chit, on imagine et on nâa pas forcĂ©ment de rĂ©ponses. Vous ĂȘtes vingt-cinq Ă recevoir ce nouvel Ă©pisode. Bonne lecture ! đ
â Unknown-Unknown-Unknown
« Mais ? Comment peux-tu ĂȘtre certain que ce disque va te plaire ? demandait JĂ©rĂŽme Ă sa copine qui retournait la pochette de vinyle quâelle venait dâextraire dâun large bac.
â Jâen sais rien. Mais la pochette est tellement belle.
â Tu connais le groupe au moins ?
â Non, jamais entendu parler. Jâle prend. On verra bien. »
JĂ©rĂŽme leva les yeux au ciel et la suivit jusquâau comptoir de la boutique.
LâĂ©crivain britannique Mark Forsyth (@Inkyfool sur Twitter) explique avec joie, dans un petit volume baptisĂ© The Unknown Unknown, le bonheur quâil y a Ă entrer dans une librairie et Ă y ĂȘtre exposĂ©, sauvagement, Ă lâinconnu. Ă y trouver ce que lâon nâĂ©tait pas venu chercher.
Mark Forsyth y dĂ©taille notamment les niveaux dâinconnus auxquels nous pouvons nous exposer : le known-unknown - ces choses dont nous connaissons lâexistence mais que nous nâavons jamais abordĂ©es, comme ces livres de Barbara Cartland que je nâai jamais ouverts - et le unknown-unknown - ces choses inconnues dont nous ne soupçonnons mĂȘme pas lâexistence, comme⊠comme⊠impossible de vous les nommer puisque que jâen ignore mĂȘme la dĂ©nomination. ;-) Pour Mark Forsyth, entrer dans une librairie est une opportunitĂ© de sâexposer Ă cet inconnu-inconnuâŠ
Jâanimais la semaine derniĂšre une confĂ©rence lors du BlendWebMix de Lyon dont le sujet principal Ă©tait lâHypertexte, et la façon dont cette technologie - mĂȘme si le mot nâest pas juste - reproduit notre façon de penser et permet de nous exposer Ă lâinconnu. Ce mĂȘme inconnu que dĂ©crit Mark Forsyth. Je nây utilisais pourtant pas la mĂ©taphore de la librairie, mais plutĂŽt celle du bac Ă disques, du cratedigging.
La cratedigging, câest cette façon dĂ©crite un peu plus haut de fouiller un bac empli de vinyls pour y trouver, forcĂ©ment, ce quâon nâest pas venu y chercher. Je mâexplique, anecdote personnel Ă lâappui, avec mes excuses pour ceux qui trouveront que je radote lĂ©gĂšrement : Quand jâĂ©tais petit, il y avait Ă cĂŽtĂ© de la chaĂźne hi-fi de la maison un bac en plastique contenant les quelques vinyls de mon pĂšre. Beaucoup de musique classique, forcĂ©ment du Dean Martin et un album dont la pochette reprĂ©sentait un cowboy sur un cheval, en plein rodĂ©o. Une quelconque compilation de musique country - que jâai longtemps associĂ©e Ă Johnny Cash. Je nâen aimais pas forcĂ©ment la musique, mais cette pochette mâintriguaitâŠ
Ma premiĂšre approche de la country donc, bien longtemps avant que Johnny Cash nâentreprenne les American Recordings qui le rendront Ă nouveau populaire, câĂ©tait la pochette dâun 33 tours. Câest cette photographie de cowboy qui mâa ouvert un univers que je ne connaissais pas et mâa fait Ă©couter une musique dont je ne soupçonnais pas lâexistence. Un Unknown-Unknown.
La magie du bac Ă disque est multiple. Fouiller dans les bacs dâune boutique de vinyle nous expose en fait Ă un triple inconnu, un Unknown-Unknown-Unknown. Tout dâabord, mĂȘme si nous orientons notre exploration vers un style ou une lettre bien prĂ©cis - certains disquaires sont particuliĂšrement vastes - nous trouvons toujours un groupe inconnu, dont nous ne soupçonnions pas lâexistence, attirĂ© souvent par la pochette, son graphisme, son style, son univers. Nous aimons cette photo, ce dragon, ce chanteur en gros plan, mĂȘme si nous nâavons jamais entendu parlĂ© de lui et nâavons jamais Ă©tĂ© exposĂ© Ă sa musique. Câest lâinconnu-inconnu de Mark Forsyth. Mais plus loin, cette pochette, mĂȘme si elle nous plaĂźt, est inapte Ă dĂ©crire la musique qui est gravĂ©e dans le plastique noir. You canât judge a book by its cover chantait Bo Didley. Aimer une pochette nâest pas aimer la musique, et si certain code existent - oui, une pochette de metal sera toujours une pochette de metal - rien ne prĂ©sage de ce que lâon va rĂ©ellement Ă©couter avant que le saphir nâait commencĂ© Ă arpenter le sillon. Cette musique, câest le troisiĂšme niveau dâinconnu. LâUnknown-Unknown-Unknown.
La beauté du bac à disques.
Pour extrapoler autour ce la confĂ©rence de la semaine derniĂšre⊠à lâimage de cette exploration vers lâinconnu, on pourrait rĂȘver dâune façon similaire dâarpenter le Net. LĂ oĂč lâHypertexte nous permet dâouvrir des portes, il reste explicite Ă moins dâĂȘtre spĂ©cifiquement dĂ©tournĂ©. Les liens textuels qui parcourent le Web rĂ©vĂšle dĂ©jĂ les contenus quâils cachent - ou quâils ouvrent. Que serait un Web sur lequel les liens ne seraient que graphique et nâexpliciterait en rien les contenus quâils abritent ?
Peut-ĂȘtre une belle expĂ©rience Ă imaginer. Quâen pensez-vous ?
On complÚte avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ?
Trois petits liens de plus pour alimenter votre vision du monde numĂ©riqueâŠ
đŸ Le Web est Ă vendre. Ou, Ă tout le moins le code source de la toute premiĂšre page Web crĂ©Ă©e par Tim Berners-Lee au CERN de GenĂšve en 1990. La vente se fera, mode et immatĂ©rialitĂ© oblige, par le biais des NFT et sera assurĂ©e par Sothebyâs. Et nombre de personnes sont incapables de savoir si cette nouvelle est rĂ©ellement fascinante ou non.
đ Sortir du mythe du Village Global ? Câest ce que propose IrĂ©nĂ©e RĂ©gnauld sur son blog Mais oĂč va le web ? (@MaisOuVaLeWeb) en dĂ©montant Ă la fois le mythe de la connaissance universelle et celui de lâinterconnexion des ĂȘtres humains. On peut ne pas ĂȘtre dâaccord, mais cet article mĂ©rite en tout cas une lecture approfondie.
âš Et si vous sauviez le plus vieux micro-ordinateur au monde ? CrĂ©ation française, le Micral-N, sorti en 1972, est le tout premier ordinateur a utiliser un microprocesseur, 4 ans avant le mythique Apple 1. Lâassociation MO5.com, qui se consacre Ă la sauvegarde du patrimoine informatique et vidĂ©oludique, a lâoccasion de faire lâacquisition dâune de ces raretĂ©s (5 exemplaires produits) et dâen entamer la restauration. Un chantier ambitieux pour lequel elle lance un appel aux dons. Libre Ă vous dây participer.
Et pour finir, un peu de lecture et de musique ?Â
đ Comment Ăcrire de la Fiction ? de Lionel Davoust paru rĂ©cemment aux Ăditions Argyll est une mine de bon conseil qui dĂ©dramatise Ă©normĂ©ment le travail dâĂ©criture. Il nây a en fait plus quâĂ sây mettre.
đŒ Mais matez, re-matez, re-re-matez High Fidelity de Stephen Frears !
đż Les gamins Ă©nervĂ©s de The Strypes avaient commis une trĂšs bonne reprise du You Canât Judge a Book by the Cover de Bo Didley dans leur premier album, Snapshot, en 2013. Ăa vaut le coup de se rĂ©Ă©couter tout le CD !
Un petit mot Ă propos de lâauteur ? Je suis François Houste, consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net Franceet auteur des Mikrodystopies, de trĂšs courtes nouvelles de fiction qui interrogent sur la place des technologies numĂ©riques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et Ă la prochaine fois pour parler dâautres choses !
PS1. Si vous avez aimĂ© cette premiĂšre expĂ©rience, nâhĂ©sitez pas Ă la partager sur les rĂ©seaux sociaux ou avec vos contacts :
PS2. Et si vous ĂȘtes venu via ces mĂȘmes rĂ©seaux sociaux ou via un partage⊠nâhĂ©sitez pas Ă vous abonner pour recevoir le prochain billet :
â
Ă la prochaine !