🔥 Brûler les écosystèmes digitaux
Le Web est-il une matière vivante, qui se préserve, se décompose, se recycle, se pille ? Métaphore en main, exploration de notre relation à un écosystème Web "vivant". Virtuel(s) op. #5.
Virtuel(s) explore, de manière irrégulière, les imaginaires et notre relation au numérique. À chaque billet, on réfléchit, on imagine et on n’a pas forcément de réponses. Vous êtes aujourd’hui une vingtaine à suivre cette aventure écrite. Bonne lecture ! 😉
🌳 Écocide numériques
« Guillaume, 0 sur 20 ! Ton exposé est complètement faux, du début à la fin. Il faut totalement revoir ton travail de recherche ! »
La note était tombée, et Guillaume ne comprenait pas comment il en était arrivé à un tel désastre…. Il avait travaillé sérieusement, s’était connecté sur des encyclopédies en ligne et avait amassé toute la connaissance qu’il pouvait sur le pétrole et les énergies fossiles… Comme l’avait demandé le professeur de géographie. Il avait repris les informations les plus marquantes : l’impact positif du pétrole sur l’économie, le faible impact écologique de cette ressource par rapport, par exemple, aux exploitations de métaux rares, la maîtrise absolue de la chaîne de production et logistique et du coup le peu de gaspillage qu’elle engendrait… Des arguments qui lui semblaient sains et pétris de bon sens.
Guillaume ignorait simplement que ces encyclopédies qu’il avait consultées, si bien positionnées dans ses réseaux de recherche, étaient rédigées intégralement par les entreprises exploitant les énergies fossiles, et avaient peu de contenus en rapport avec la réalité… Si elles étaient toujours populaires, elles avaient perdu leur pertinence depuis longtemps...
On parlait il y a quelques semaines de la construction des anti-communs, ces interfaces et ces systèmes de filtre masquant l’accès à la profondeur du Web et à l’ensemble de ses ressources disponibles. Quelques articles vus et lus ces dernières semaines font penser qu’il est également intéressant de se pencher sur la destruction des écosystèmes digitaux.
Que se passe-t-il lorsqu’un site Web meurt ?
Quand un site n’est plus maintenu par son propriétaire, il continue dans un premier temps à vivre. Même sans mises à jour, il est toujours scruté par les robots des moteurs de recherche, il est éventuellement visité par quelques humains, il peut même être cité de temps en temps sur les réseaux sociaux. Même sans soins, il continue sa vie jusqu’à ce que - dans la plupart des cas - son nom de domaine expire.
C’est à partir de ce moment que le site Web commence sa décomposition. Le domaine expiré, le contenu qui y était hébergé n’est plus lisible, ni disponible. Et si des liens pointent toujours vers celui-ci, ils ne mènent la plupart du temps plus que vers une page de maintenance technique, gérée par un service de vente des noms de domaine et annonçant la disponibilité de ce dernier. Le contenu, lui, est bien mort.
Vient ensuite une lente phase de décomposition - ou plutôt de pourrissement, le New York Times parle de Linkrot. La plupart les noms de domaine se voient rapidement rachetés par des spécialistes du référencement naturel - Search Engine Optimisation - qui s’échinent a en exploiter la richesse.
Le contenu original disparu, c’est le sens même du site originel qui est à son tour réduit en lambeaux. Tel site devient un portail d’escort-gilrs, tel autre un support de contenu pseudo-médical - j’ai les exemples concrets sur d’anciens sites personnels - et leur exploitation est faite uniquement en fonction de leur valeur marketing historique et des liens qu’ils avaient réussi à tisser avec le reste de la toile. Une valeur de réputation et d’influence chère aux algorithmes des moteurs de recherche.
Buzzfeed explique cette démarche et révèle, sans surprise, qu’il existe un marché des domaines liés au New York Times. Un marché sur lequel des domaines dont les pages ont un temps été jugées pertinentes par les journalistes américains s’échangent à prix d’or. L’intérêt capitaliste est évident : acheter de l’audience et de la pertinence plutôt que d’essayer de construire soi-même sa performance. On pourrait, cyniquement, y voir du recyclage. Les dérives peuvent même aller plus loin, avec pour les sites d’anciennes entreprises une réappropriation complète des marques qui peut aller jusqu’à l’arnaque pure et simple.
Mais dans ce compostage du Web, le sens se perd. Les vieux articles des journaux pointent désormais vers des boutiques, vers des contenus plus ou moins pertinents et vérifiés dont le seul but est d’être visible au sein des pages des moteurs de recherche. Une économie parallèle, un marketing du bruit, qui tue petit à petit le sens même du Web… et contribue à sa surchauffe.
Pour en revenir aux communs, cette exploitation des sites disparus tient elle aussi de la construction d’un anti-commun, d’une sorte de saccage systématique de l’écosystème numérique, surtout quand les sites ainsi exploités révèlent d’une importante visibilité publique.
Alors bien entendu, on ne peut tout conserver en ligne. L’équilibre du Web tient aussi dans son aspect éphémère. Mais l’exploitation systématique, cynique et calculée des espaces en friche fait penser, toujours, au recyclage des forêts en champs de soja. Le Web comme métaphore du péril écologique ? Pourquoi pas…
On complète avec quelques bricoles trouvées çà et là sur le Net ?
Trois petits liens de plus pour alimenter votre vision du monde numérique…
🤖 Avant le Blade Runner de Ridley Scott, le futur au cinéma était blanc et lumineux. Et après, il est devenu noir, pluvieux, apocalyptique. Disponible jusqu’au 26 juin en replay, ce petit documentaire diffusé par la chaîne Arte revient sur la génèse du film légendaire de SF et sur son impact sur notre vision du futur. À voir absolument pour tous les fans de science-fiction !
🕹 [auto-promo] A l’occasion de la (re)lecture d’une histoire des jeux vidéo, je me suis posé la question du rêve technologique. Aujourd’hui, face aux GAFA et à la start-up nation, rêve-t-on encore de numérique ou assiste-t-on à l’émergence d’une contre-culture techno-critique ? C’est sur le blog de l’agence Serviceplan et c’est signé votre serviteur.
👟 Êtes-vous Cheugy ? Dans le vocabulaire “jeune”, cheugy c’est quelque part le contraire de cool, ou une sorte de cool pour les vieux qui, de fait ne l’est plus vraiment… cool. Le cheugy, c’est un peu le OK Boomer de la gen-Z à l’adresse des millenials. Cet article du quotidien québecois Le Devoir vous dit tout sur ça. Peut-être l’occasion aussi de refaire un point sur les tendances, les sous-cultures et la façon dont on les identifie avec le bouquin On Trend - The Business of Forecasting the Future, sorti cette année aux éditions de l’Université de l’Illinois. On en reparlera !
Un petit point calendrier ?
📅 Les 14 et 15 juin prochain se tiendra à Lyon l’édition 2021 du Blend Web Mix. On s’y retrouve le temps d’une conférence pour parler, justement, d’Hypertexte et de nos usages du Net. Ce sera le 15 juin à 14h et ça s’appelle As We May Link : https://www.blendwebmix.com/programme/conferences/as-we-may-link-voyage-au-pays-de-lhypertexte/
📅 Le 23 juin prochain, l’association Le Mouton Numérique organise une première rencontre autour de l’imaginaire et de ses répercussions politiques avec comme invitée Anne Besson (@anne_besson), enseignant-chercheur et auteure du tout récent “Les Pouvoirs de l’Enchantement” aux Éditions Vendémiaire. Plus d’info à venir sur l’organisation de cet évènement !
Et pour finir, un peu de lecture et de musique ?
📖 Lisez, relisez Blade Runner, ou plutôt Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick !
💿 Tiens, on parle recyclage ? Vous connaissez Thrillington ? Daté de 1977, signé Percy 'Thrills' Thrillington, l’album reprend, en version orchestrale, les morceaux du RAM de Paul McCartney sorti six ans plus tôt. Passé totalement inaperçu à sa sortie, l’album est en fait composé par Paul McCartney lui-même, qui avait envie de se réinventer. Bel exercice, toujours agréable à écouter !
📼 Un petit voyage dans la jungle ? Vous êtes plutôt La Forêt d’Émeraude ou Mosquito Coast ?
Un petit mot à propos de l’auteur ? Je suis François Houste, consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles de fiction qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et à la prochaine fois pour parler d’autres choses !
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À la prochaine !
Au plaisir de te croiser au BlendWebMix