🎇 Étincelle | Cybernetruc #03
Et si on repartait au XVIIIe siècle pour prendre un peu de recul avec nos questions de singularité ? Pour parler d'extinction, de Kant et d'Asimov, de Zelazny et de nucléaire. Et d'une étincelle...
CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous voilà aujourd’hui un peu plus de quatre-vingt-dix à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 😉
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Théorie
Si vous le voulez bien, on va débuter cette fois avec le philosophe allemand Emmanuel Kant [📄] (1724 - 1804). On ne va pas se pencher sur sa Critique de la Raison Pure [📕] – il est bien trop tôt pour ça – mais sur l’un de ses écrits de jeunesse intitulé Histoire Naturelle Générale et Théorie du Ciel [📘], paru en 1755.
Une petite partie de cette théorie nous permet de tisser des liens avec la science-fiction et les sujets numériques qui nous intéressent tout particulièrement dans CYBERNETRUC! [📧]. Pour ceux qui n’aiment pas particulièrement lire de longs exposés, tout est là , dans un petit fascicule nommé Sur les Extraterrestres [📘] et édité en 2009 par les éditions Manucius [💻] :
Kant se penche, dans ces quelques dizaines de page, sur la possibilité d’une vie sur les autres planètes connues en son temps, en dehors de la Terre. Réflexion logique puisqu’il n’y a véritablement aucune raison, en 1755 comme aujourd’hui, que la Terre soit le seul incident biologique de l’univers et la seule planète sur laquelle les circonstances géographiques et chimiques aient permis l’émergence d’une vie, sans même parler d’une vie intelligente et/ou consciente.
Distance
Kant se base sur les connaissances physiques de son époque pour étayer sa théorie.
Tout d’abord, l’éloignement d’une planète par rapport au soleil modifie la quantité d’énergie que celle-ci reçoit. Venus est plus chaude que la Terre, Jupiter reçoit moins d’énergie que Mars. Les habitants de ces planètes doivent donc être adaptés à ces circonstances et possèdent bien chacun un métabolisme particulier.
Face à l’afflux massif d’énergie solaire de Mercure, ses habitants peuvent être grossiers. Nul besoin pour eux d’optimisation de l’énergie reçue, celle-ci est abondante et répond à tous leurs besoins.
Les habitants de Jupiter, en revanche, doivent être légers, aériens, sans entraves… leur corps optimisés pour se mouvoir en profitant de chacune des parcelles d’énergie reçue du Soleil central.
Plus une planète est éloignée du Soleil, plus ses habitants sont physiquement parfaits.Ensuite, la durée de rotation d’une planète sur son axe influe également le comportement de ses habitants. Sur Terre, jour et nuit se succèdent en vingt-quatre heures. Sur Jupiter, en dix heures seulement.
Kant évoque, sérieusement ou non, l’hypothèse qu’une journée reste quoi qu’il arrive une journée, sur Mars ou sur Saturne. Et que donc, pour vivre au rythme de journées de dix heures, les habitants de Jupiter doivent être forcément plus agiles, vivaces… optimisés que les imparfaits terriens pour qui vingt-quatre heures est l’échelle de vie.
C’est logique. Les êtres parfaits créés par Dieu, sont habitants de Saturne ou Jupiter, ces planètes géantes des confins de notre système. Plus l’on s’éloigne du Soleil, plus la création touche à la perfection.
Mais Kant développe également son thème en y introduisant une notion de temporalité. C’est tout sauf anecdotique. Tout sauf inintéressant. En effet, rien n’oblige à ce que l’ensemble de ces vies, celles grossières de Venus et celles optimisées et aériennes de Saturne, n’adviennent en même temps. Peut-être ne reste-t-il sur Mercure que ruines et peut-être l’émergence des êtres supérieurs et intelligents de Jupiter n’aura lieu que dans quelques centaines d’années.
Traces
C’est un travers connu de la majorité des œuvres de science-fiction, et de l’ensemble de nos espoirs quant à une prise de contact avec une relation extraterrestre. La rencontre du 3e type [🎥] impose bien entendu que notre civilisation et celle de nos… voisins – quelle que soit leur origine – vivent et aient atteint des niveaux technologiques similaires, ou proches, en même temps. Sans cela, pas de visite des martiens chez H. G. Wells [📗], pas de rencontre dans Armada [📰], pas d’invasion dans Independance Day [🎥] ou Mars Attack [🎥].
Rien. Nulle part.
Ou plutôt. Des traces.
Oui. On peut imaginer une science-fiction archéologique. Elle existe déjà de toutes façons. Une science-fiction dans laquelle les hommes explorant de nouvelles planètes ne découvrent que des ruines de civilisations disparus. Il y a de ça dans le Prometheus de Ridley Scott [🎥] si ma mémoire ne me joue pas des tours. Il y a également un peu de ça dans certaines planche du Metal Hurlant consacré à Mars (le numéro 3 de la nouvelle mouture [📰]).
Il y a également cela, quelque part, dans la bible qu’est le Fondation d’Isaac Asimov [📘]. Même si on n’y parle pas réellement de civilisation extraterrestre, la temporalité y joue un rôle plus qu’important et le débarquement des humains du futur aux alentours de la Terre donne l’idée de ce que pourrait être la prise de contact d’une civilisation extraterrestre avec une humanité… disparue.
Désert
Et c’est là qu’on – que je – voulait(s) en venir.
Une grande partie de la science-fiction d’Isaac Asimov, et des années cinquante au global, garde en toile de fond la peur de la disparition de l’humanité, et plus particulièrement de l’holocauste nucléaire. Lisez, toujours chez Asimov, Aimables Vautours, une nouvelle de 1957, dans le recueil Nine Tomorrows [📘].
Le parallèle avec notre monde actuel est frappant, même si la menace est différente. Aujourd’hui, la crise écologique menace très clairement l’avenir de l’humanité et les questionnements posés par les pères de la SF quant à une Terre sans hommes resurgissent naturellement. Si demain, les extraterrestres débarquent sur une planète sans trace de vie, ce ne sera sans doute pas à cause d’un holocauste atomique, mais plus vraisemblablement du dérèglement climatique que nous n’aurons, ou n’aurons pas voulu, combattre.
Bref.
Une Terre sans humains.
Connaissez-vous Le Temps d’un Souffle, je m’attarde [📘] ? Un court roman signé Roger Zelazny, et datant de 1966. Pilier de la science-fiction lui aussi, Zelazny évoque l’hypothèse d’une race humaine éteinte depuis des siècles et de machines restants autonomes et actives à la surface de la Terre… jusqu’à … ce que l’une de celles-ci n’accèdent à la conscience. À la singularité.
On en revient donc à cette thématique qui nous occupe depuis quelques articles : et si la conjonction de l’inaction climatique et de la course technologique débouchait, de manière coordonnée, sur la fin de l’espèce humaine et dans le même moment, la même étincelle, à la naissance d’une conscience numérique ? Une conscience numérique issue de l’intelligence humaine mais sans contact possible avec elle. Et dont l’environnement ne serait que les vestiges, encore chauds, de notre propre perte.
Vertigineux non ?
Je vous laisse gamberger là -dessus.
Un petit mot à propos de l’auteur ?
François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.
Merci de votre attention et à la prochaine fois pour parler d’autres choses !
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À la prochaine !