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đŸ€Ł Rire | Cybernetruc #10

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đŸ€Ł Rire | Cybernetruc #10

#IA, ép. 10. Cette fois, on se demande si une intelligence artificielle peut rire. Ou faire rire. Ou rire avec nous. Et on invoque pour cela Bergson, Star Wars, Terminator, Alain Degreff et d'autres.

François Houste
Feb 14, 2023
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CYBERNETRUC! explore de maniĂšre irrĂ©guliĂšre nos imaginaires technologiques et numĂ©riques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcĂ©ment les rĂ©ponses. Vous ĂȘtes aujourd’hui un peu plus de cent-vingt Ă  lire cette lettre. Bonne lecture ! 😉

https://www.philomag.com/sites/default/files/styles/header_no_full_width/public/images/web%20Bergson%20prag.jpg

Des [💿], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmĂšneront vers des complĂ©ments d’information.

🕮 Homme

Et si on se posait la question du rire dans notre exploration du monde de l’intelligence artificielle ? L’intelligence est bien entendu ce qui diffĂ©rencie l’humain de l’animal – ok, pas toujours – mais le Rire est, d’aprĂšs la maxime, le propre de l’homme [📄].

Alors, peut-on rire de l’intelligence artificielle ? Peut-on rire avec l’intelligence artificielle ? Et l’intelligence artificielle peut-elle, elle, se rire de nous ? SacrĂ© panorama.

Le plus simple pour dĂ©marrer, c’est de savoir si une intelligence artificielle – terme que je prends toujours au sens marketing – est capable de comprendre l’humour. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que depuis l’ouverture de ChatGPT [đŸ’»], les expĂ©riences pour faire comprendre Ă  celui-ci la notion d’humour ont Ă©tĂ© nombreuses. TrĂšs nombreuses.

Elles vont de la blague pour enfant

au calembour racé et sophistiqué :

Image

En passant par la dĂ©construction et l’explication d’une blague honteusement scatologique (lisez jusqu’au bout) [đŸ€].

Bref.

Il est compliquĂ© de faire comprendre Ă  une plateforme comme ChatGPT l’humour, simplement parce que l’humour verbal repose sur des codes auditifs (les sonoritĂ©s, les jeux de mot) ou culturels qui ne font tout simplement pas partie des enseignements de la plateforme. Et parce que l’absurde, on le verra plus loin, est trĂšs difficilement rĂ©ductible Ă  un algorithme.

Mais alors ? Peut-on rire, se moquer, d’une intelligence artificielle ? Pour tracer un brouillon de rĂ©ponse, on va faire appel au philosophe Henri Bergson [📄].

⚙ Machine

Le rire - Henri Bergson - Quadrige - Format Physique et Numérique | PUF

Tout philosophe qu’il fut, Bergson a consacrĂ© en 1900 un essai complet au rire [📕], au comique, Ă  leurs significations et Ă  leurs mĂ©caniques. Il y dĂ©taille plusieurs formes d’humour et tente d’expliquer ce qui rend cet humour drĂŽle [đŸ“ș].

Parmi l’ensemble de ces explorations, il y en a une qui concerne Le comique des mouvements. Bergson Ă©nonce la loi qui rĂ©git ce comique :

Les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l’exacte mesure oĂč ce corps nous fait penser Ă  une simple mĂ©canique.

À partir du moment oĂč un corps, ou un esprit, n’a plus le naturel propre Ă  l’humain et devient comparable Ă  un objet, le rire est lĂ . La rĂ©pĂ©tition peut-ĂȘtre l’un des facteurs de cette conversion mĂ©canique :

Voici par exemple, chez un orateur, le geste, qui rivalise avec la parole. Jaloux de la parole, le geste court derriĂšre la pensĂ©e et demande, lui aussi, Ă  servir d’interprĂšte. Soit ; mais qu’il s’astreigne alors Ă  suivre la pensĂ©e dans le dĂ©tail de ses Ă©volutions. [
] Que le geste s’anime donc comme elle ! Qu’il accepte la loi fondamentale de la vie, qui est de ne se rĂ©pĂ©ter jamais ! Mais voici qu’un certain mouvement du bras ou de la tĂȘte, toujours le mĂȘme, me paraĂźt revenir pĂ©riodiquement. Si je le remarque, s’il suffit Ă  me distraire, si je l’attends au passage et s’il arrive quand je l’attends, involontairement je rirai. Pourquoi ? Parce que j’ai maintenant devant moi ne mĂ©canique qui fonctionne automatiquement? Ce n’est plus de la vie, c’est de l’automatisme installĂ© dans la vie et imitant la vie. C’est du comique.

Mais pour Bergson, la raison va plus loin que le simple automatisme et la simple rĂ©pĂ©tition. Ce qui se joue derriĂšre ce comique de mouvement, ce qui fait rĂ©ellement rire, c’est la transformation de l’ĂȘtre humain en “objet”. Bergson prend exemple d’un spectacle de cirque qu’il a vu enfant et dans lequel les clowns traversaient la piste, se percutaient les uns les autres, se relevaient et se percutaient Ă  nouveau. Dans l’esprit du spectateur, les clowns, au-delĂ  de leur grimage, n’étaient plus des ĂȘtres humains mais Ă©taient devenus des ballons de caoutchouc projetĂ©s les uns contre les autres.

Se transformant en objet, l’humain devient drîle. Fait rire.

charlie-chaplin - The relevance of Charles Chaplin's 'Modern Times' -  Telegraph India

Et il faut bien donner raison Ă  Bergson et reconnaĂźtre que les exemples sont nombreux. Du travail Ă  la chaĂźne qu’exĂ©cute Charlot dans Les Temps Modernes [đŸŽ„] (1936) Ă  l’Inspecteur Kemp dans le Young Frankenstein de Mel Brooks [đŸŽ„] (1974).

L’humain qui devient robot fait rire.

Mais le robot qui se rĂȘve humain fait-il rire lui aussi ?

đŸ€– Robot

De robots qui s’imaginent humains, la science-fiction en regorge. Mais quels sont ceux qui nous font rire ? Et avant tout qu’attendons-nous d’une intelligence artificielle, d’un robot de fiction ?

Pour reprendre quelques-uns des mots de Bergson, un robot est un automatisme, une machine dont le comportement doit ĂȘtre parfaitement logique et parfois – souvent – rĂ©pĂ©titif. L’empilement des cubes de dĂ©chets de Wall-E [đŸŽ„] tient du comportement normal d’un robot et n’a rien de risible – on y reviendra.

On attend du robot, de l’intelligence artificielle, qu’il effectue la tĂąche pour laquelle il est programmĂ©, tĂąche qui est souvent ambitieuse, de maniĂšre parfaite. Et donc, ce qui avec les robots crĂ©e le dĂ©calage, et parfois le rire, c’est en fait l’imperfection.

On n’en oublie pas pour autant que le robot est un robot, on dĂ©couvre simplement qu’il est inadaptĂ© au monde qui l’entoure. Incapable de se confronter Ă  son irrationalitĂ©. Ce sont par exemple les failles d’un androĂŻde policier incapable de prĂ©voir les consĂ©quences de ses actes dans Holmes et Yoyo [đŸ“ș] – la premiĂšre confrontation Ă  un robot de bien des personnes de ma gĂ©nĂ©ration. Ce sont aussi les dĂ©boires de communication de C-3PO, pourtant le robot de protocole le plus Ă©voluĂ© de sa gĂ©nĂ©ration, dans Star Wars [đŸŽ„].

Et pour clĂŽturer une galerie d’exemples qui pourrait se prolonger Ă  l’infini, c’est ce moment dans le Terminator 2 de James Cameron oĂč le T-1000, machine Ă  tuer parfaite, oublie que le pistolet qu’il tient Ă  la main ne se liquĂ©fie pas comme lui et le cogne aux grilles de l’institut psychiatrique [đŸŽ„]. Le seul moment du film oĂč ce robot-tueur fait finalement
 sourire.

Car quand le robot est parfait, il ennuie. Et quand le robot devient trop humain
 il effraie ou Ă©meut. Il effraie comme HAL-9000 et sa logique implacable, trĂšs humaine, comme les rĂ©plicants de Blade Runner prĂȘts Ă  tout pour vivre comme les hommes. Ou il Ă©meut comme Wall-E qui collectionne les souvenirs et tombe amoureux. Ou comme le petit garçon du A.I. Intelligence artificielle de Steven Spielberg, tellement humain qu’il ignore lui-mĂȘme sa nature de robot.

C’est le robot imparfait, celui qui s’écarte de la promesse qui nous en est faite, qui nous fait finalement rire. Et c’est exactement pour cela que les dialogues absurdes que nous entretenons avec un ChatGPT [đŸ€] sont si drĂŽles. Parce qu’ils vont Ă  rebours de la promesse marketing du programme de nous fournir un alter-ego de discussion, un sparing partner pour nos rĂ©flexions, un miroir qui serait capable de rĂ©flĂ©chir comme nous. ChatGPT est ridicule, et c’est en partie ce qui fait son succĂšs foudroyant. Un peu comme ces vidĂ©os de robots fabricants de hot-dog qui Ă©chouent deviennent virales [đŸ“č].

🐑 Humour

Reste Ă  se demander si une intelligence artificielle serait capable de nous faire rire volontairement. Et lĂ , eh bien
 c’est plus compliquĂ©.

Les quelques tentatives d’humour de ChatGPT (encore lui) zigzaguent entre l’étrange et le gĂȘnant [đŸ€]. Parce que, tout d’abord, et malgrĂ© les promesses allĂ©chantes d’OpenAI, ce programme informatique n’a pas Ă©tĂ© conçu pour ĂȘtre drĂŽle mais pour simplement simuler le langage et l’argumentation humaine. Faire de l’humour va bien entendu au-delĂ  de la simple manipulation de langage.

C’est Ă  la fois une subtile question de dĂ©calage – sortir d’une situation initiale normale – et de liens – trouver les passerelles entre cette situation initiale et celle, cible, sur laquelle reposera le comique. C’est une question de rĂ©fĂ©rences culturelles tĂ©nues et d’absurde. Et on l’a vu : tout d’abord une I.A. ne peut pas crĂ©er rĂ©ellement de liens culturels - parce qu’elle ne possĂšde pas de lecture subjective, inĂ©dite, du monde (voir 🔗 Liens, partagĂ© il y a quelques semaines) et qu’elle est donc incapable de crĂ©er des relations entre des Ă©lĂ©ments au-delĂ  d’un corpus Ă©tabli, voire universel. Mais dans l’humour, c’est bien souvent l’inĂ©dit de ce lien, ou son Ă©troitesse, qui provoque le rire. On ne peut demander aujourd’hui Ă  ChatGPT de crĂ©er un lien sur une homonymie, une ambiguĂŻtĂ© de sens – pour ne prendre que le domaine des jeux de mots. Il n’a pas Ă©tĂ© conçu pour cela.

Night at the Opera, A (1935) – FilmFanatic.org

Il lui manque donc l’absurde. Gageons d’abord que celui-ci n’est pas transformable en algorithme – mĂȘme si cela ferait un bon dĂ©part pour une nouvelle fantastique. Mais surtout, l’absurde dĂ©coule de l’étroitesse du lien, qu’il s’agisse d’un jeu de mot ou d’un dĂ©calage de situation [đŸŽ„]. Les tentatives d’absurde des I.A. ne rĂ©vĂšlent elles qu’un lien rompu, incomprĂ©hensible.

Quand l’I.A. nous fait rire, ce n’est donc jamais volontairement, mais toujours Ă  ses dĂ©pend. Par dĂ©calage entre sa promesse de perfection et l’aspect bancal de ses dialogues.

Mais aprĂšs tout, c’est peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  un talent.

Je vous laisse gamberger lĂ -dessus ?


Un petit mot à propos de l’auteur ?

François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de trÚs courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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