đș Meute | Cybernetruc #08
On explore encore le thĂšme de l'intelligence artificielle, mais cette fois avec des capteurs, des loups, un space-opera, une porte des Ă©toiles⊠Collaborer Ă large Ă©chelle, est-ce ĂȘtre intelligent ?
CYBERNETRUC! explore de maniĂšre irrĂ©guliĂšre nos imaginaires technologiques et numĂ©riques. Ă chaque billet on divague, on imagine et on nâa pas forcĂ©ment les rĂ©ponses. Vous ĂȘtes dĂ©sormais cent-vingt Ă suivre cette aventure. Bonne lecture ! đ
Des [đż], [đ] ou [đ°] ? Cliquez, ils vous emmĂšneront vers des complĂ©ments dâinformation.
đ Sensations
Câest un sujet quâon a commencĂ© Ă aborder en apartĂ© lors de la derniĂšre newsletter (đLiens, pour ceux qui lâont manquĂ©e). En y parlant de perception et dâintelligence, deux idĂ©es nous sont venues en tĂȘte. Tout dâabord que la perception, telle quâelle existe dans le rĂšgle animal et chez lâhomme, peut trĂšs difficilement ĂȘtre transcrite chez les robots et les intelligences artificielles. Aujourdâhui, sur les cinq sens [đ„] qui caractĂ©risent les ĂȘtres humains, seuls la vue et lâouĂŻe ont leurs Ă©quivalents pleinement fonctionnels chez les robots, par lâintermĂ©diaire de camĂ©ras et de microphones. Certains capteurs pourraient bien sĂ»r sâapparenter Ă un sens du toucher, mais en ce qui concerne le goĂ»t et lâodeur, on est loin dâun remplacement des sommeliers et des nez des maisons de parfum par les machines. Skynet chez Dior, ce nâest sans doute pas pour tout de suite.
Et puis surtout, ce qui manque aux robots, ce ne sont pas tant les capteurs que les moyens dâinterprĂ©ter ce quâils captent. Les robots nâont pas de sensations, mais seulement une interprĂ©tation chiffrĂ©e de signaux extĂ©rieurs. Et si la douleur peut Ă©ventuellement se ramener Ă des chiffres â on parle bien dâĂ©chelle de douleur â le dĂ©goĂ»t et le plaisir sont eux difficilement quantifiables.
Un robot, une IA, cela reste avant tout un algorithme rationnel.
đ€ Capteurs
Mais il y a une autre diffĂ©rence de taille Ă explorer. Câest celle de la multiplicitĂ© de donnĂ©es captĂ©es par les intelligences artificielles. LĂ oĂč un ĂȘtre humain est contraint par son corps, un programme informatique nâa, virtuellement, pas de limites quant Ă la quantitĂ© de donnĂ©es entrantes quâil peut traiter. Et donc quant Ă la quantitĂ© de perception quâil peut avoir simultanĂ©ment.
Ses seuls limites sont liées à sa capacité de calcul et au déploiement physique de son réseau de capteurs.
⣠ATTENTION SPOILER ! â On se souviendra par exemple, dans le film her de Spike Jonze [đ„], que ce sont des millions de relations amoureuses simultanĂ©es que Samantha, lâintelligence artificielle, avoue entretenir. â fin du spoiler âŁ
Et les films et nouvelles dâanticipation regorgent de ces super-ordinateurs Ă©tendant leur rĂ©seau de camĂ©ras et de micros sur toute la surface du globe pour contrĂŽler, et asservir lâhumanitĂ©. Ou plus positivement parfois, assurer son bien ĂȘtre. Un exemple parmi dâautres, lâordinateur imaginĂ© par Isaac Asimov dans sa nouvelle The Evitable Conflict [đ], la derniĂšre du recueil Les Robots. Un ordinateur qui collecte lâensemble des donnĂ©es Ă©conomiques, politiques, dĂ©mographiques â et que sais-je encore â du monde et oriente les actions de chacun dans lâobjectif de conserver la paix sur Terre. Si lâhomme y perd son libre-arbitre, il y gagne en sĂ©rĂ©nitĂ© :
Dites plutÎt quelle merveille ! Pensez que désormais et pour toujours les conflits sont devenus évitables. Dorénavant seules les Machines sont inévitables !
đ ApartĂ©. On se penchera Ă nouveau sur tout cela Ă lâoccasion. Sur Norbert Wiener, sur les expĂ©riences du gouvernement chilien au dĂ©but des annĂ©es 1970 et sur les bonheurs annoncĂ©s de la cybernĂ©tique. En attendant, on peut se repencher sur ce (pas si) ancien article : đą On peut dĂ©battre de tout, sauf des chiffres*.
Mais cette multiplication des capteurs et des signaux entrant ne crĂ©e pas pour autant de sensations, ni de sentiments. Et le traitement chiffrĂ© de milliards de donnĂ©es ne donne pas plus dâintelligence au silicium que le traitement de quelques octets.
Les millions dâaspirateurs autonomes vendus par Roomba et leurs millions de camĂ©ras espionnant les femmes dans leurs toilettes [đ°] ne forment pas un rĂ©seau intelligent.
Il nous faut donc chercher ailleurs.
đș Meute
Câest donc une idĂ©e quâon a abordĂ© rapidement dans la derniĂšre lettre que lâon va ressortir. PlutĂŽt que dâĂ©tudier la multiplicitĂ© des capteurs, ne pourrait-on se pencher rapidement sur la multiplication des instances ? Petite plongĂ©e dans deux oeuvres de science-fiction pour sâinspirer.
La premiĂšre, câest A Fire upon the Deep de Vernor Vinge [đ]. Au cĆur dâune longue et haletante Ă©popĂ©e spatiale, Vernor Vinge imagine, au fond des profondeurs stellaires, une planĂšte peuplĂ©e de⊠loups transcendants, faute de trouver meilleure description. Imaginez donc une meute de 4 Ă 8 loups, semblables aux animaux Ă©voluant sur Terre, mais dont les esprits sont fusionnĂ©s et communiquent de façon continue. Chaque âindividuâ y est donc, en rĂ©alitĂ©, composĂ© de 4 Ă 8 individualitĂ©s â des esprits mais aussi des corps â cohabitant et collaborant. Lâobjectif de chacun de ses individus est bien entendu sa survie propre â et non pas forcĂ©ment la survie des membres qui le composent, la nuance est importante â et la survie de la sociĂ©tĂ© globale quâils forment.
Ces individus Ă©voluent au fil du temps. Leurs membres les plus anciens meurent, biologiquement â de vieillesse ou suite Ă des blessures â et sont remplacĂ©s par des membres plus jeunes qui doivent apprendre Ă cohabiter ou Ă dominer un esprit multiple, toujours dans lâintĂ©rĂȘt de la survie de lâensemble de ses membres.
Si lâon va (re)faire un tour du cĂŽtĂ© Isaac Asimov â ça commence Ă ĂȘtre une habitude par ici â on va cette fois se pencher sur Fondation FoudroyĂ©e [đ] (Foundationâs Edge en version originale). Je ne gĂąche pas cette fois lâintrigue de ce quatriĂšme Ă©pisode de la sage Fondation, lisez-la par vous mĂȘme⊠mais, dans ce volume les hĂ©ros font la rencontre dâune planĂšte nommĂ©e GaĂŻa sur laquelle lâensemble des ĂȘtres sont connectĂ©s. Ătres vivants â humains et animaux â mais Ă©galement plantes et minĂ©raux. LâintĂ©gralitĂ© de lâĂ©cosystĂšme GaĂŻa partage une seule et mĂȘme conscience qui oeuvre, dâun commun accord, pour la survie, la prospĂ©ritĂ© et le bonheur de son ensemble. Une planĂšte âconnectĂ©eâ en quelques sortes, sur laquelle les perceptions et sensations de chacun concernent tous les autres, et les rĂ©flexion des individus influent sur le destin commun du monde.
Une vision positive de la communion dâesprit.
En version apocalyptique, on pourrait penser aux RĂ©plicateurs de la sĂ©rie Stargate [đș], ces robots agissant de maniĂšre coordonnĂ©es et capables de se reproduire depuis une entitĂ©-mĂšre assez⊠coriace.
đ§ Collaboration
Et câest peut-ĂȘtre lĂ quâon pourrait en venir.
On nâĂ©vacuera pas, bien entendu, le question de la mĂ©moire, de la perception, des sensations et des liens dans la dĂ©finition de lâintelligence. Et on ne perdra pas de vue que de que nous appelons aujourdâhui par abus de langage une Intelligence Artificielle est avant tout une suite dâinstructions, un algorithme. Il nâest pas question de prĂ©tendre encore une fois mettre sur un niveau Ă©quivalent la logique froide des programmes informatiques et la crĂ©ativitĂ© du cerveau humain.
MaisâŠ
Que se passe-t-il, dans notre rĂ©flexion sur la notion dâintelligence si nous crĂ©ons quelque-chose dâun peu nouveau ? Si nous, par exemple, mettons en rĂ©sonnance la multiplication des capteurs et la multiplication des instances. Un modĂšle capable, par lâabondance de signaux entrants, dâavoir accĂšs Ă une quantitĂ© dâinformations directes sans rapport avec la capacitĂ© de perception de lâĂȘtre humain. Et en complĂ©ment, un modĂšle capable, par la multiplication de ses instances â des copies similaires de ses fonctions de base â de rentrer dans une sorte de logique de gouvernance â de collaboration ? â entre plusieurs algorithmes complexes, Ă la façon dont les consciences des loups de A Fire upon the Deep cohabitent.
Si, bien entendu, on ne touche pas lĂ Ă la crĂ©ativitĂ© ou lâinitiative humaine â ces modĂšles ne sont pas capables de crĂ©er de lâinĂ©dit â on arriverait peut-ĂȘtre bien Ă un systĂšme qui dĂ©passerait la rĂ©flexion et la collaboration humaines. (âdĂ©passerâ non pas au sens de performance, mais de dĂ©finition : qui irait au-delĂ de la dĂ©finition humaine de lâintelligence.)
Et donc, un systĂšme qui, sâil nâest pas comparable directement Ă une intelligence humaine, mĂ©riterait peut-ĂȘtre par sa complexitĂ© le nom dâintelligence. Une intelligence autre, comme celle fantasmĂ©es des dauphins que lâon Ă©voquait il y a quelques articles (voir đ Vocabulaire).
EspĂ©rer autre chose que la simple copie du cerveau humain, câest peut-ĂȘtre lĂ que rĂ©side le fantasme de lâintelligence artificielle ? Et dans ce cas, pourquoi pas quelque-chose que lâon pourrait appelerâŠ. une intelligence de meute.
Je vous laisse gamberger lĂ -dessus ?
Un petit mot Ă propos de lâauteur ?
François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de trÚs courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.
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